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nommons extase, je laisse juger à d’autres si ce n’est pas songer les yeux ouverts.

Théophile. Il est bon de débrouiller ces notions, et je tâcherai d’y aider. Je dirai donc que c’est sensation lorsqu’on s’aperçoit d’un objet externe, que la réminiscence en est la répétition sans que l’objet revienne ; mais quand on sait qu’on l’a eue, c’est souvenir. On prend communément le recueillement dans un autre sens que le vôtre, savoir pour un état où l’on se détache des affaires afin de vaquer à quelque méditation. Mais puisqu’il n’y a point de mot que je sache qui convienne à votre notion, Monsieur, on pourrait y appliquer celui que vous employez. Nous avons de l’attention aux objets que nous distinguons et préférons aux autres. L’attention continuant dans l’esprit, soit que l’objet externe continue ou non, et même soit qu’il s’y trouve ou non, c’est considération ; laquelle, tendant à la connaissance sans rapport à l’action, sera contemplation. L’attention dont le but est d’apprendre (c’est-à-dire acquérir des connaissances pour les garder), c’est étude. Considérer pour former quelque plan, c’est méditer ; mais rêver paraît n’être autre chose que suivre certaines pensées par le plaisir qu’on y prend, sans y avoir d’autre but, c’est pourquoi la rêverie peut mener à la folie : on s’oublie, on oublie le dic cur hic", on approche des songes et des chimères, on bâtit des châteaux en Espagne. Nous ne saurions distinguer les songes des sensations que parce qu’ils ne sont pas liés avec elles, c’est comme un monde à part. Le sommeil est une cessation des sensations, et de cette manière l’extase est un fort profond sommeil dont on a de la peine à être éveillé, qui vient d’une cause interne passagère, ce que j’ajoute pour exclure ce sommeil profond, qui vient d’un narcotique ou de quelque lésion durable des fonctions, comme dans la léthargie. Les extases sont accompagnées de visions quelquefois ; mais il y en a aussi sans extase, et la vision, ce semble, n’est autre chose qu’un songe qui passe pour une sensation, comme s’il nous apprenait la vérité des objets. Et lorsque ces visions sont divines, il y a de la vérité en effet, ce qui se peut connaître par exemple quand elles contiennent des prophéties particularisées que l’événement justifie.

§ 4. Philalèthe. Des différents degrés de contention ou de relâchement d’esprit il s’ensuit que la pensée est l’action, et non l’essence de l’âme.

Théophile. Sans doute la pensée est une action et ne saurait être l’essence : mais c’est une action essentielle, et toutes les substances en ont de telles. J’ai montré ci-