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faites des difficultés sans sujet, et j’ai remarqué ci-dessus que les substances ou les concrets sont conçus plutôt que les accidents ou les abstraits.

Philalèthe. Les mots de substance et d’accident sont à mon avis de peu d’usage en philosophie.

Théophile. J’avoue que je suis d’un autre sentiment, et je crois que la considération de la substance est un point des plus importants et des plus féconds de la philosophie.

§ 21. Philalèthe. Nous n’avons maintenant parlé de la substance que par occasion, en demandant si l’espace est une substance. Mais il nous suffit ici qu’il n’est pas un corps. Aussi personne n’osera faire le corps infini comme l’espace.

Théophile. M. Descartes et ses sectateurs ont dit pourtant que la matière n’a point de bornes, en faisant le monde indéfini, en sorte qu’il ne nous soit point possible d’y concevoir des extrémités. Et ils ont changé le terme d’infini en indéfini avec quelque raison : car il n’y a jamais un tout infini dans le monde, quoiqu’il y ail toujours des touts plus grands les uns que les autres à l’infini, ci l’univers même ne saurait passer pour un tout, comme j’ai montre ailleurs.

Philalèthe. Ceux qui prennent la matière et l’étendue pour une même chose prétendent que les parois intérieures d’un corps creux vide se toucheraient. Mais l’espace qui est entre deux corps suffit pour empêcher leur contact mutuel.

Théophile. Je suis de votre sentiment, car quoique je n’admette point de vide, je distingue la matière de l’étendue et j’avoue que s’il y avait du vide dans une sphère, les pôles opposés dans la concavité ne se toucheraient pas pour cela. Mais je crois que ce n’est pas un cas, que la perfection divine admette.

§ 23. Philalèthe. Cependant il semble que le mouvement prouve le vide. Lorsque la moindre partie du corps divisé est aussi grosse qu’un grain de semence de moutarde, il faut qu’il y ait un espace vide égal à la grosseur d’un grain de moutarde pour faire que les parties de ce corps aient de la place pour se mouvoir librement : il en sera de même, lorsque les parties de la matière sont cent millions de fois plus petites.

Théophile. Il est vrai que si le monde était plein de corpuscules durs qui ne pourraient ni se fléchir ni se diviser, comme l’on dépeint les atomes, il serait impossible qu’il y eût du mouvement. Mais dans la vérité il n’y a point de dureté originale : au contraire la fluidité est originale, et les corps se divisent selon le besoin, puisqu’