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récompenses par des voies machinales par rapport aux corps, quoique cela ne puisse et ne doive pas arriver toujours sur le champ.

90[1]. Enfin sous ce gouvernement parfait il n’y aurait point de bonne action sans récompense, point de mauvaise sans châtiment : et tout doit réussir au bien des bons ; c’est-à-dire de ceux qui ne sont point mécontents dans ce grand État, qui se fient à la Providence, après avoir fait leur devoir, et qui aiment et imitent, comme il faut, l’auteur de tout bien, se plaisant dans la considération de ses perfections, suivant la nature du pur amour véritable, qui fait prendre plaisir à la félicité de ce qu’on aime. C’est ce qui fait travailler les personnes sages et vertueuses à tout ce qui paraît conforme à la volonté divine présomptive, ou antécédente ; et se contenter cependant de ce que Dieu fait arriver effectivement par sa volonté secrète, conséquente et décisive ; en reconnaissant, que si nous pouvions entendre assez d’ordre de l’univers, nous trouverions qu’il surpasse tous les souhaits des plus sages, et qu’il est impossible de le rendre meilleur qu’il est ; non seulement pour le tout en général, mais encore pour nous-mêmes en particulier, si nous sommes attachés comme il faut à l’auteur de tout, non seulement comme à l’architecte et à la cause efficiente de notre être, mais comme à notre maître


  1. ou le monde des esprits, le pessimisme représenta l’opposition ; elle peut avoir sa raison d’être dans un autre gouvernement, mais dans celui-là elle est un non-sens ; les mécontents, les anarchistes et les nihilistes y sont condamnés à une radicale impuissance. Le pessimisme est donc illogique, impuissant et monstrueux. L’optimisme pourtant ne saurait être absolu : il y a place, même chez Leibniz, pour un système intermédiaire, le méliorisme, et c’est la raison d’être, éternelle du pessimisme, car qui dit méliorisme, dit qu’une partie du bien n’est point réalisée, ni peut-être réalisable. Si vous concentrez vos regards uniquement sur ce côté des choses, vous serez dans un sens, légitimement pessimiste. « Il est vrai que la suprême félicité, de quelque vision béatifique, ou connaissance de Dieu qu’elle soit accompagnée ne saurait jamais être pleine ; parce que, Dieu étant infini, il ne saurait jamais être connu entièrement. Ainsi, notre bonheur ne consistera jamais et ne doit point consister dans une pleine jouissance où il n’y aurait rien à désirer, et qui rendrait notre esprit stupide ; mais dans un progrès perpétuel à de nouveaux plaisirs et de nouvelles perfections. » Ainsi le véritable nom moderne de l’optimisme, celui qui doit remplacer désormais le nom même d’optimisme un peu démodé et discrédité, c’est progrès ; et les partisans du progrès seront les vrais héritiers de la doctrine de Leibniz pourvu qu’ils pensent comme Sénèque, qu’à ceux qui montent les dieux tendent la main, ascendentibus manum porrigunt.