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exemple doit être détruit et réparé par les voies naturelles dans les moments, que le demande le gouvernement des Esprits ; pour le châtiment des uns et la récompense des autres (§§18, sqq. ; 110, 244, 245, 340).

89[1]. On peut dire encore que Dieu comme architecte contente en tout Dieu comme Législateur ; et qu’ainsi les péchés doivent porter leur peine avec eux par l’ordre de la nature ; et en vertu même de la structure mécanique des choses ; et que de même les belles actions s’attireront leurs


    Pour le châtiment des uns et la récompense des autres. — conçoit-il l’immortalité des âmes ? Il oppose sur ce point, sa propre théorie à celle de Spinoza pour lequel il se montre extrêmement sévère. On voit dans la note précédente que les conclusions des deux doctrines ne manquent pas d’analogie : Le Ve livre de l’Ethique, De Libertate, développe bien des propositions analogues à celles que nous trouvons dans la Monadologie. Sur l’immortalité, la pensée de Spinoza n’est pas facile à saisir, mais c’est parce qu’il ne s’est pas contenté d’affirmer l’immortalité, il a voulu en déterminer la nature. Quoi qu’il en soit, Leibniz oppose sa théorie à celle de Spinoza dans les termes suivants : « Spinoza dit que la mémoire et l’imagination s’évanouissent avec le corps. Mais je pense pour ma part, que toujours quelque imagination et quelque mémoire demeurent, et que sans elles, l’âme serait un pur néant. Il ne faut pas croire que la raison existe sans le sentiment ou sans une âme. Une raison sans imagination ni mémoire est une conséquence sans prémisses. Aristote aussi a pensé que la raison et l’intellect agent subsistent et non l’âme. Mais souvent l’âme agit et la raison est passive. » (Réf. inéd., p. 59.)

  1. En vertu même de la structure mécanique des choses, — Leibniz s’attache constamment à éliminer de la philosophie le miracle et l’exception. Tout doit réussir aux bons parce que la bonté ou le règne de la grâce continue le règne de la nature, loin de le détruire ou d’être en contradiction avec ses lois. Le bien absolu est mon bien, car mon bien y est compris et en fuit partie. Toute faute vient donc d’ignorance, omne peccatum ab errore, parce que je ne puis poursuivre que mon bien, et si j’étais assez éclairé, je verrais évidemment en toute circonstance celle parfaite identité de mon bien et du bien absolu. À la fin des Principes de la Nature et de la Grâce, Leibniz nous donne son dernier mot non seulement sur la certitude, mais encore sur la nature, telle qu’il la conçoit, d’une vie future : « On peut même dire que dès à présent l’amour de Dieu nous fait jouir d’un avant-goût de la félicité future. Et quoiqu’il soit désintéressé, il fait par lui-même notre plus grand bien et intérêt, quand même on ne l’y chercherait pas, et quand on ne considérerait que le plaisir qu’il donne, sans avoir égard à l’utilité qu’il produit ; car il nous donne une parfaite confiance dans la bonté de notre auteur et maître, laquelle produit une véritable tranquillité de l’esprit, non pas comme chez les Stoïciens résolus à une patience par force, mais par un contentement présent qui nous assure même le bonheur futur. » C’est ce que Spinoza appelle l’amour intellectuel de Dieu. Les deux philosophes professent que la vie dite future est improprement nommée, car elle existe dès cette vie ; c’est la vie de la raison. Leibniz continue : « Outre le plaisir présent, rien ne saurait être plus utile pour l’avenir, car l’amour de Dieu remplit encore nos espérances et nous mène dans le chemin du suprême bonheur, parce qu’en vertu du parfait ordre qui règne dans l’univers tout est fait le mieux qu’il est possible, tant pour le bien général que pour le plus grand bien particulier de ceux qui en sont persuadés et qui sont contents du divin gouvernement ; ce qui ne saurait manquer dans ceux qui savent aimer la source de tout bien. » De même que Kant affirme que le premier des devoirs, c’est de croire au devoir et à la liberté qui rend le devoir possible, de même Leibniz soutient que c’est un devoir pour l’homme d’être optimiste et de croire au bien. Dans cette croyance, il puise la force morale. Dans la Cité de Dieu