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76.[1] Mais ce n’était que la moitié de là vérité : j’ai donc jugé, que si l’animal ne commence jamais naturellement, il ne finit pas naturellement non plus ; et que non seulement il n’y aura point de génération, mais encore point de destruction entière, ni mort prise à la rigueur. El ces raisonnements faits a posteriori et tirés des expériences, s’accordent parfaitement’avec mes principes déduits a priori comme ci-dessus (§ 90).

77. Ainsi on peut dire que non seulement l’Âme (miroir d’un univers indestructible) est indestructible, mais encore l’animal même, quoique sa machine périsse souvent en partie, et quitte ou prenne des dépouilles organiques.

78.[2] Ces principes m’ont donné moyen d’expliquer naturellement l’union ou bien la conformité de l’Âme et du

  1. Ce n’était que la moitié de la vérité. — « J’aime, dit Leibniz, des maximes qui se soutiennent, et où il y a le moins d’exceptions qu’il est possible : voici ce qui m’a paru le plus raisonnable en tout sens sur celle importante question. Je tiens que les âmes et généralement les substances simples ne sauraient commencer que par la création, ni finir que par l’annihilation : et, comme la formation des corps organiques animés ne paraît explicable dans l’ordre de la nature que lorsqu’on suppose une préformation déjà organique, j’en ai inféré que ce que nous appelons génération d’un animal n’est qu’une transformation et augmentation, puisque le corps était déjà animé et qu’il avait la même âme ; de même que je juge vice versa de la conservation de l’âme lorsqu’elle est créée une fois, l’animal est conservé aussi, et que la mort apparente n’est qu’un enveloppement ; n’y ayant point d’apparence que dans l’ordre de la nature, il y ait des âmes entièrement séparées de tout corps, ni que ce qui ne commence point naturellement, puisse cesser par les forces de la nature, » (Théod., § 90.) Ainsi, selon Leibniz, il n’y a pas même lieu de prouver l’immortalité. C’est elle qui est naturelle : ce serait l’annihilation des âmes qui serait contre nature et constituerait un vrai miracle sans raison suffisante ou plutôt contre toute raison. C’est à ceux qui soutiendraient cette annihilation miraculeuse qu’incomberait l’onus probandi.
  2. Expliquer naturellement l’union de l’âme et du corps organique. — Cette union consiste dans une conformité réciproque et Leibniz oppose son explication, qu’il appelle naturelle, à l’explication miraculeuse de Malebranche qui fait intervenir Dieu comme cause réelle et efficiente et ne reconnaît qu’une union de conformité occasionnelle. « L’hypothèse des causes occasionnelles ne satisfait pas, ce me semble, à un philosophe. Car elle introduit une manière de miracle continuel, comme si Dieu à tout moment changeait les lois des corps à l’occasion des pensées, des esprits, ou changeait le cours régulier des pensées de l’âme en y excitant d’autres pensées à l’occasion des mouvements du corps… Il n’y a donc que l’hypothèse de la concomitance ou de l’accord des substances entre elles, qui explique tout d’une manière convenable et digne de Dieu… Il me semble aussi qu’elle s’accorde bien davantage avec la liberté des créatures raisonnables que l’hypothèse des impressions ou celle des causes occasionnelles… L’âme cependant ne laisse pas d’être la forme de son corps, parce qu’elle exprime les phénomènes de tous les autres corps suivant le rapport du sien, » (Lettre à Arnauld, éd. Janet, p. 619.) Leibniz fait donc ressortir le triple avantage que son hypothèse lui parait avoir sur celle de Malebranche : le elle est plus conforme aux exigences de la science ; 2e elle donne une plus haute idée de la dignité de Dieu ; 3e elle sauvegarde mieux