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tant qu’elle a des perceptions distinctes et la passion en tant qu’elle en à de confuses (§§22, 66, 386).

50[1]. Et une créature est plus parfaite qu’une autre, en ce qu’on trouve en elle ce qui sert à rendre raison a priori de ce qui se passe dans l’autre, et c’est par là qu’on dit qu’elle agit sur l’autre.

51[2]. Mais dans les substances simples ce n’est qu’une influence idéale d’une Monade sur l’autre, qui ne peut avoir son effet que par l’intervention de Dieu, en tant que dans


  1. fuses que l’âme représente les corps qui l’environnent. » (66.) Ses pensées confuses sont donc l’état passif de l’âme. Elle est censée agir sur les corps « à mesure de sa perfection, quoique ce ne soit qu’idéalement et dans les raisons des choses. » (Ibid.)
  2. Influence idéale… par l’intervention de Dieu. — On voit que Leibniz qui empruntait tout à l’heure à Spinoza la théorie de l’action et de la passion se rapproche ici de Malebranche et explique l’action, même purement idéale, par l’intervention de Dieu. En effet, la réalité des possibles, ou leur influence sur les existences, on s’en souvient, a sa source en Dieu. Leur perfection étant littéralement leur quantité d’essence, cette action est antérieure à leur existence même et par conséquent éternelle et tout idéale : « Chaque chose a contribué idéalement avant son existence à la résolution qui a été prise sur l’existence de toutes les choses » (Théod., §9), et c’est pourquoi elle ne reçoit pas seulement passivement l’impression de l’univers « qui est tout d’une pièce comme un Océan », mais elle agit sur tout l’univers « en demandant avec raison que Dieu en réglant les choses dès le commencement des choses ait égard à elle. » Donc, « en prenant les choses à la rigueur, il faut dire que l’âme a en elle le principe de toutes ses actions et de toutes ses passions. » (Ibid., §65.) Mais il est permis de s’exprimer comme font les astronomes au regard du mouvement qu’ils attribuent au soleil quand ils parlent comme le vulgaire, bien qu’ils sachent que le soleil ne se lève ni ne se couche. En quoi donc l’harmonie préétablie diffère-t-elle de la théorie des causes occasionnelles ? Exactement dans la mesure où les possibles diffèrent des réalités, l’entendement divin de la volonté divine : l’harmonie est éternelle et incréée selon Leibniz ; selon Malebranche elle est créée à chaque instant. Dieu, selon Leibniz, par les fulgurations qui produisent les êtres la rend visible, mais elle était préexistante ; Dieu, selon Malebranche, lui donne tout à la fois par sa volonté libre et pour sa propre gloire sa réalité et ses manifestations phénoménales. Le Dieu de Leibniz est plutôt l’harmonie des choses (Deus sive harmonia rerum) ; le Dieu de Malebranche est plutôt la cause de cette harmonie. Rigoureusement parlant, Leibniz a-t-il le droit de dire que l’harmonie des monades est préétablie ? Non, si l’on donne à ce mot son sens actif ; oui, si l’on entend simplement par là qu’elle existait dans les essences antérieurement à leur passage à l’existence. Mais alors Dieu ne l’a pas préétablie, puisqu’il l’a trouvée toute établie au cœur des possibles ; il n’en est la cause que dans la mesure où il est la cause de la tendance ou des aspirations à l’être qui se trouvent dans les possibles et qui en réalité viennent de lui. Sans lui le monde des possibles est un océan immobile et glacé ; il parle et l’écho des mondes emplit l’immensité. L’harmonie est préétablie dans la partition gravée : Dieu n’est que le musicien ou plutôt le chef d’orchestre qui la fait sortir de la région du silence et de l’immobilité. Il reste pourtant cette différence que chez Malebranche les musiciens ne sont que des automates, que des instruments, ou, si l’on veut, que des tuyaux d’orgue, tandis que chez Leibniz ils sont doués de spontanéité : ce sont les nombres sonores dont parlait Pythagore. Il semble que Leibniz se rapproche autant qu’il est possible de Malebranche dans le passage suivant : « Sénèque dit quelque part que Dieu n’a commandé qu’une fois, parce qu’il obéit aux lois qu’il a voulu se prescrire : semel jussit, semper paret. Mais il