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dans lequel il suffit d’être possible pour être actuel (§§ 181, 189, 335).

45[1]. Ainsi Dieu seul (ou l’Être nécessaire) a ce privilège, qu’il faut qu’il existe s’il est possible. Et comme rien ne peut empêcher la possibilité de ce qui n’enferme aucunes bornes, aucune négation, et par conséquence aucune contradiction, cela seul suffit pour connaître l’existence de Dieu a priori. Nous l’avons prouvée aussi par la réalité des vérités éternelles. Mais nous venons aussi de la prouver a posteriori puisque des êtres contingents existent, les-

    qu’un être soit possible il suffit que sa cause efficiente soit possible ; j’excepte la cause efficiente suprême qui doit exister effectivement. « Dépouillé de sa tendance ou prétention à l’existence, le possible s’explique donc suffisamment par une cause idéale : la cause réelle et effective n’intervient que pour expliquer cette tendance, mais elle intervient nécessairement. Il ne faut pas dire que les possibles, antérieurement à cette tendance, expriment l’essence même de Dieu ; c’est plutôt cette essence de l’entendement divin qui exprime ou symbolise les possibles. Les possibles de l’entendement divin sont coéternels, essentiæ rerum sunt Deo coæternæ. L’empreinte d’une main sur le sable, si elle était éternelle, n’exigerait pas moins logiquement que la main lui fût antérieure : l’empreinte, c’est ici l’entendement divin ; la main, c’est l’ensemble des possibles. Connaître, même pour Dieu, c’est limiter et conditionner. À son tour notre intelligence trouve de nouvelles limites et conditions dans l’entendement divin. « Un athée peut être géomètre. Mais s’il n’y avait point de Dieu, il n’y aurait point « l’objet de la géométrie. » (Théod., § 184.) On trouvera dans l’opuscule intitulé De la Démonstration cartésienne de l’existence de Dieu, du R. P. Lami, le dernier mot de Leibniz sur cette preuve célèbre : « On pourrait encore faire à ce sujet une proposition modale qui serait un des meilleurs fruits de toute la logique ; savoir que si l’être nécessaire est possible, il existe. Car l’être nécessaire et l’être par son essence ne sont qu’une seule et même chose….. On la pourrait énoncer ainsi : si l’être nécessaire n’est point, il n’y a point d’être possible. Il semble que cette démonstration n’avait pas été portée si loin jusqu’ici. » (Erdm., 177, b.) Leibniz prouve la possibilité de l’être parfait en disant que son essence, toute positive, ne saurait envelopper de contradiction, ce qui est, au fond, revenir à une autre définition du possible et passer d’une possibilité logique à une possibilité ontologique. Telle est la forme que prend chez lui le paralogisme transcendantal. Sans Dieu rien ne serait possible (ontologiquement), mais sans l’antériorité de ce qui est possible (logiquement) l’entendement divin n’existerait pas ni par conséquent la volonté divine qui en dépend : voilà à quoi aboutit ce prodigieux effort d’analyse.

  1. A posteriori. — L’expérience ne nous donne les êtres que comme contingents et ne nous fait jamais apercevoir leur raison d’être ; l’expérience stimule donc l’intelligence à remonter de raison en raison jusqu’à la raison qui est en même temps la cause suprême. Cette preuve est inutile chez Leibniz et tout à fait surérogatoire, puisque l’existence n’est qu’un cas particulier de la possibilité et que la possibilité enveloppe déjà la réalité. Il n’y a donc dans le système de Leibniz comme dans tout système métaphysique bien lié et fortement conçu, qu’une seule et unique preuve de l’existence de Dieu, et cette preuve est celle de saint Anselme et de Descartes perfectionnée. Kant contestera la légitimité du passage opéré par Leibniz du possible idéal au possible réel, de l’idée à l'être. On sait que de nos jours M. Vacherot, allant plus loin encore, essayera de prouver que la réalité et la perfection au lieu de s’impliquer s’excluent. Ni l’un ni l'autre ne seront sceptiques pour cela, mais Kant professait un dogmatisme moral et M. Vacherot est partisan d’un dogmatisme