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43[1]. Il est vrai aussi qu’en Dieu est non seulement la source des existences, mais encore celle des essences, en tant que réelles, ou de ce qu’il y a de réel dans la possibilité. C’est parce que l’entendement de Dieu est la Région des vérités éternelles, ou des idées dont elles dépendent, et que sans lui il n’y aurait rien de réel dans les possibilités, et non seulement rien d’existant, mais encore rien de possible (§§20, 30, 380).

44[2]. Car il faut bien que s’il y a une réalité dans les Essences ou possibilités, ou bien dans les vérités éternelles, cette réalité soit fondée en quelque chose d’existant ou d’Actuel ; et par conséquent dans l’existence de l’Être nécessaire, dans lequel l’Essence renferme l’Existence, ou

  1. Ce qu’il y a de réel dans la possibilité. — On a vu dans la note précédente que ce qu’il y a de réel dans la possibilité c’est la tendance en vertu de laquelle les possibles aspirent à la réalité. Cette tendance est analogue à l’appétition des monades. Jusque-là tout s’explique aisément, mais il semble : 1o que cette demi-réalité des possibles n’est pas suffisamment définie. Peut-être faut-il entendre qu’exister dans l’entendement divin c’est un premier degré de réalité qui s’achève quand la volonté divine prononce le fiat qui fait passer les essences à l’existence ; 2o qu’il y a contradiction entre ce texte et celui que nous avons emprunté à la Réfutation inédite. En effet, si Dieu est la région des possibles, s’il n’y a rien de réel, rien de possible en dehors de lui, comment se fait-il que Leibniz affirme que les possibles peuvent jusqu’à un certain point se concevoir sans lui, Essentiæ quodammodo sine Deo concipi possunt ? Est-ce simplement in abstracto ? Les textes auxquels nous renvoie Leibniz et que nous avons déjà cités pour la plupart, n’éclaircissent qu’insuffisamment la difficulté. Si le mot de l’énigme existe, on le trouvera dans le passage suivant : « Nous avons montré que cette source (du mal et de l’imperfection) se trouve dans les formes ou idées des possibles ; car elle doit être éternelle et la matière ne l’est pas. Or Dieu ayant fait toute réalité positive qui n’est pas éternelle, il aurait fait la source du mal, si elle ne consistait pas dans la possibilité des choses ou des formes, seule chose que Dieu n’a point faite puisqu’il n’est point auteur de son propre entendement. » (Théod., §380.). Mais alors, il y a un monde des idées supérieur à Dieu qui non seulement se conçoit sans lui, mais s’impose à lui et dont il dépend comme le Jupiter de la Fable est soumis « au Styx et au Destin » selon le mot de Descartes. C’est peut-être la plus grande difficulté du leibnizianisme : la source du mal que Leibniz ne veut pas mettre en Dieu afin de sauver l’optimisme, il la place au-dessus de Dieu. Pourquoi Dieu, par sa volonté, ne défend-il pas à son entendement de concevoir le mal, la limitation, l’imperfection afin de l’empêcher ainsi de passer dans la réalité des choses puisqu’il est bien entendu que la réalité des essences qui les fait influer sur les existences est de Dieu, a Dea est ? Sa volonté est également impuissante à créer son entendement et à le limiter : c’est la fatalité, assise sur le trône de l’univers. Le bien vient de Dieu, mais le mal a une source plus haute et il s’impose à Dieu. Comme au-dessus de l’entendement divin il n’y a pas d’entendement, le mal vient de l’Inconscient et s’impose à Dieu avant de s’imposer au monde et à l’homme. Le vrai Dieu serait donc l’Inconscient et Dieu lui-même ne serait que son prophète.
  2. L’Essence renferme l’existence. — Leibniz, dans sa deuxième lettre à Bourguet, revient encore sur cette assertion essentielle que « l’idée des possibles ne suppose point l’existence même de Dieu » et il ajoute : « généralement pour