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tout ce détail, lequel aussi est lié par tout, il n’y a qu’un Dieu, et ce Dieu suffit.

40[1]. On peut juger aussi que celle substance suprême qui est unique, universelle et nécessaire, n’ayant rien hors


    tous ces mondes possibles pour en déterminer un. Et cet égard ou rapport d’une substance existante à de simples possibilités ne peut être autre chose que l’entendement qui en a les idées ; et en déterminer une ne peut être autre chose que l’acte de la volonté qui choisit. Et c’est la puissance de cette substance qui en rend la volonté efficace. La puissance va à l’être, la sagesse ou l’entendement au vrai, et la volonté au bien. Et cette cause intelligente doit être infinie de toutes les manières et absolument parfaite en puissance, en sagesse et en bonté puisqu’elle va à tout ce qui est possible. Et comme tout est lié, il n’y a pas lieu d’en admettre plus d’une. Son entendement est la source des essences et sa volonté est l’origine des existences. Voilà en peu de mots la preuve d’un Dieu unique avec ses perfections, et par lui, l’origine des choses. » (Théod., §7.)

    Il n’y a qu’un Dieu et ce Dieu suffit. — Cette conclusion fait ressorti la supériorité de la preuve leibnizienne sur la preuve dite des causes finales et tirée de l’ordre qui règne dans le monde : à côté de l’ordre on montre le désordre, donc deux dieux possibles, l’un principe du bien, l’autre principe du mal ; si la cause de l’ordre est prouvée, il reste à démontrer la cause des êtres ainsi ordonnés, donc la matière peut être éternelle ; notre connaissance de l’ordre est bornée, donc la cause de l’ordre peut être finie, très puissante et non toute-puissante. La preuve a contingentia mundi répond, selon Leibniz, à toutes ces objections, au manichéisme, au dualisme et au polythéisme.

  1. Substance unique, universelle et nécessaire. — Ces expressions ne seraient pas désavouées par Spinoza. Il importe en effet de remarquer : 1o que Dieu est une monade, la monade des monades ; 2o que les monades sont des forces douées de presque tous les attributs de la substance unique de Spinoza. On lit en effet dans la Réfutation inédite de Spinoza : « Aucune substance, pas même la substance corporelle n’est divisible. » Cela n’a rien qui étonne dans son système parce qu’il n’admet qu’une seule substance. Mais cela est également vrai dans le mien, bien que j’admette une infinité de substances ; car, dans mon système, toutes sont indivisibles ou monades. Ce rapprochement fait par Leibniz lui-même et joint au passage des Nouv. Ess., où il avoue qu’il a penché pendant un temps du côté du spinozisme, nous montre que la monade est conçue dans une certaine mesure par analogie avec la substance : les monades sont des dieux, mais la perfection divine est une limite qu’elles n’atteindront jamais. On lit encore dans le même ouvrage : « À mon avis, on peut jusqu’à un certain point concevoir les essences sans Dieu ; mais les existences enveloppent Dieu, et la réalité même des essences qui les fait influer sur les existences est de Dieu. Les essences des choses sont coéternelles à Dieu et l’essence même de Dieu embrasse toutes les autres essences, — à ce point qu’on ne saurait avoir une conception parfaite de Dieu sans elles. Mais quant à l’existence, on ne saurait la concevoir sans Dieu, qui est la dernière raison des choses. » Ce sont là sinon de graves concessions à Spinoza, du moins de grandes, de frappantes analogies avec son système. Dire que les essences peuvent jusqu’à un certain point se concevoir sans Dieu, c’est accorder à Spinoza qu’il peut y avoir idée et peut-être pensée sans entendement, grave concession ; dire que c’est l’existence seule, c’est-à-dire au fond le seul phénomène qui justifie la nécessité de Dieu, c’est faire reposer cette nécessité sur la contingence : Leibniz ne se sauve donc du spinozisme, qu’en mettant dans les possibles, dans tous les possibles, réalisés ou non, la tendance qui est déjà une forme de l’existence, une existence appauvrie, essentiæ in existentias influunt. Il faut d’ailleurs reconnaître, que le mot universel est pris ici dans un sens restreint : la substance suprême est universelle, selon Leibniz, dans ce sens qu’elle est le fondement de toutes les existences, qu’elle suffit à expliquer tous les êtres, non dans le sens spinoziste, qu’elle serait l’étoffe pour ainsi dire, dont la pensée et l’étendue formeraient les deux faces diversement colorées. Il faut ajouter