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15[1]. L’action du principe interne qui fait le changement ou le passage d’une perception à une autre peut être appelée Appétition ; il est vrai que l’appétit ne saurait toujours parvenir entièrement à toute la perception, où il tend, mais il en obtient toujours quelque chose, et parvient à des perceptions nouvelles.

16[2]. Nous expérimentons en nous-mêmes une multitude dans la substance simple, lorsque nous trouvons que la moindre pensée, dont nous nous apercevons, enveloppe une variété dans l’objet. Ainsi, tous ceux qui reconnaissent que l’âme est une Substance simple, doivent reconnaître cette multitude dans la Monade ; et Monsieur Bayle


    pour le surplus, il déclare, non sans une nuance d’ironie, qu’il en sait moins que le chevalier Digby (auteur d’un traité de l’immortalité de l’âme). Leibniz, qui n’a pas de ces timidités, fait ailleurs un procès de tendance non plus aux esprits mal tournés, mais à Descartes lui-même. « Je dis donc que l’immortalité de l’âme, telle qu’elle est établie par Descartes, ne sert de rien et ne nous saurait consoler en aucune façon ; car, supposons que l’âme soit une substance, et que point de substance ne dépérisse ; cela étant, l’âme ne se perdra point, aussi, en effet, rien ne se perd dans la nature ; mais, comme la matière, de même l’âme changera de façon, et, comme la matière qui compose un homme a composé autrefois des plantes et d’autres animaux, de même, cette âme pourra être immortelle, en effet, mais elle passera par mille changements ; et ne se souviendra point de ce qu’elle a été. Mais celle immortalité sans souvenance est tout à fait inutile à la morale ; car elle renverse toute la récompense et tout le châtiment. À quoi vous servirait-il, Monsieur, de devenir roi de la Chine, à condition d’oublier ce que vous avez été ? Ne serait-ce pas la même chose, que si Dieu, en même temps qu’il vous détruisait, créait un roi dans la Chine. » (Gerhardt, 1er vol., p. 300.) On sent assez l’injustice de Leibniz, qui prête à Descartes des opinions analogues a celles qu’on attribue généralement à Spinoza, pour triompher plus aisément.

  1. Appétition. — L’appétition s’explique par les perceptions insensibles. « Il y a encore des efforts qui résultent des perceptions insensibles, dont on ne s’aperçoit pas, que j’aime mieux appeler appétitions que volitions (quoiqu’il y ait aussi des appétitions aperceptibles), car on n’appelle actions volontaires que celles dont on ne peut s’apercevoir, et sur lesquelles notre réflexion peut tomber, lorsqu’elles suivent la considération du bien et du mal. » (Nouv. Ess., liv. II, §5.)
  2. La moindre pensée enveloppe une variété dans l’objet. — Leibniz explique très clairement cette proposition au chapitre ii, du IIe livre des Nouveaux Essais : « Il est manifeste, par exemple, que le vert naît du bleu et du jaune, mêlés ensemble ; ainsi, on peut croire que l’idée du vert est composée de ces deux idées. Et pourtant, l’idée du vert nous paraît aussi simple que celle du bleu ou que celle du chaud. Ainsi, il est à croire que ces idées, du bleu, du chaud, ne sont simples aussi qu’en apparence. Je consens pourtant volontiers, qu’on traite ces idées de simples, parce qu’au moins notre aperception ne les divise pas ; mais il faut venir à leur analyse par d’autres expériences et par la raison, à mesure qu’on peut les rendre plus intelligibles. » (Erdm., 227, a.)

    Monsieur Bayle ne devait point y trouver de la difficulté. — Voici une partie du passage de l’article Rorarius, auquel Leibniz fait allusion : « Figurons-nous, à plaisir, un animal créé de Dieu, et destiné à chanter incessamment. Il chantera toujours, cela est indubitable ; mais si Dieu lui destine une certaine tablature, il faut, de toute nécessité, ou qu’il la lui mette devant les yeux, ou qu’il la lui imprime dans la mémoire, ou qu’il lui donne un arrangement de muscles, qui fasse, selon les lois de la mécanique, qu’un tel ton suive toujours celui-là,