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qualités, autrement ce ne seraient pas même des Êtres. Et si les substances simples ne différaient point par leurs qualités, il n’y aurait point de moyen de s’apercevoir d’aucun changement dans les choses, puisque ce qui est dans le composé ne peut venir que des ingrédients simples ; et les Monades étant sans qualités, seraient indistinguables l’une de l’autre, puisqu’aussi bien elles ne diffèrent point en quantité ; et par conséquent, le plein étant supposé, chaque lieu ne recevrait toujours dans le mouvement que l’équivalent de ce qu’il avait eu, et un état des choses serait indistinguable de l’autre.

9[1]. Il faut même, que chaque Monade soit différente de


    simple), et ses appétitions (c’est-à-dire ses tendances d’une perception à l’autre) qui sont le principe du changement, car la simplicité de la substance n’empêche point la multiplicité des modifications qui se doivent trouver ensemble dans cette même substance simple ; et elles doivent consister dans la variété des rapports aux choses qui sont au dehors. » (Erdm., 714, b.)

    Les monades seraient indistinguables l’une de l’autre. — C’est le principe des indiscernables, en vertu duquel il ne saurait exister dans la nature deux êtres identiques. Pourquoi, en effet, l’un serait-il créé dans un temps, l’autre, dans un autre ; l’un dans un lieu, l’autre dans un autre lieu ? Pourquoi seraient-ils deux ? « Poser deux choses indiscernables est poser la même chose sous deux noms… Il n’y a point deux individus indiscernables. Un gentilhomme d’esprit de mes amis, en parlant avec moi en présence de Mme l’Électrice dans le jardin de Herrenhausen, crut qu’il trouverait bien deux feuilles entièrement semblables. Mme l’Électrice l’en défia, et il courut longtemps en vain pour en chercher. Deux gouttes d’eau, ou de lait, regardées par le microscope se trouveront discernables. C’est un argument contre les atomes, qui ne sont pas moins combattus que le vide par les principes de la véritable métaphysique. Ces grands principes de la Raison suffisante et de l’Identité des Indiscernables changent l’état de la métaphysique, qui devient réelle et démonstrative par leur moyen ; au lieu qu’autrefois elle ne consistait presque qu’en termes vides. » (Lettres entre Leibniz et Clarke, quatrième écrit de Leibniz, 4, 5 et 6.)

    Le plein étant supposé. — On voit, dans la note précédente, que les principes de la véritable métaphysique s’opposent à ce que l’on admette le vide. Chez Descartes, la question se résout aisément, puisque l’essence des corps est l’étendue, puisque l’étendue est l’étoffe dont les choses sont faites et se confond absolument avec l’espace. Leibniz n’attribue point à ses monades, comme on pourrait le croire d’après ses expressions, une existence locale : le lieu n’est que le rapport des monades. « Il n’y a entre les monades aucune relation de proximité ou de distance dans l’espace, et dire qu’elles sont ramassées en un point ou dispersées dans l’espace, c’est vouloir imaginer ce qui ne peut être conçu que par l’entendement. » (Lettres à des Bosses, XX, Erdm., 682, b.) Dans la même lettre, on lit cette définition du temps et de l’espace : « Ainsi donc, il résulte de cette manière de voir, que l’espace est l’ordre des phénomènes coexistants, comme le temps est l’ordre des phénomènes successifs, ordo coexistentium phænomenorum. »

  1. Différence interne, dénomination intrinsèque. — Une différence interne est fondée sur les qualités que les êtres possèdent en eux-mêmes, une différence externe serait fondée sur les rapports particuliers que chaque être soutient avec les autres êtres. Sa dénomination intrinsèque est celle qui résulte des qualités internes. « On peut remarquer, dit Port-Royal, sur le sujet des modes, qu’il y en a qu’on peut appeler intérieurs, parce qu’on les conçoit dans la substance,