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Monade puisse être altérée, ou changée dans son intérieur par quelque autre créature ; puisqu’on n’y saurait rien transposer, ni concevoir en elle aucun mouvement interne, qui puisse être excité, dirigé, augmenté ou diminué là dedans ; comme cela se peut dans les composés, où il y a du changement entre les parties. Les Monades n’ont point de fenêtres, par lesquelles quelque chose y puisse entrer ou sortir. Les accidents ne sauraient se détacher, ni se promener hors dès substances comme faisaient autrefois les espèces sensibles des scolastiques. Ainsi, ni substance ni accident ne peut entrer de dehors dans une Monade.

8[1]. Cependant il faut que les Monades aient quelques


    ment. La vraie raison, il ne la donne pas ici : c’est, à ce qu’il semble, la loi du mouvement et de la communication du mouvement. Il serait contraire aussi bien à la physique qu’à la métaphysique d’admettre que la monade puisse changer quelque chose non seulement à la quantité de mouvement qui est dans le monde, mais encore à la direction de ce mouvement : or, c’est ce qui arriverait si elle pouvait altérer, c’est-à-dire changer, sous le rapport de la qualité, l’état d’une autre monade ; on connaît le mot : « Physique, méfie-toi de la métaphysique ! » On voit qu’il peut être retourné : la métaphysique de Leibniz se subordonne ici à sa mécanique et à sa physique. C’est la physique qui a fermé si hermétiquement les portes et fenêtres de la monade. Si mon âme pouvait remuer mon bras, au moyen d’un effort transitif, elle pourrait soulever mon corps, lui faire franchir d’un saut les plus hautes montagnes. Cela nous paraît, non seulement paradoxal, mais absurde : c’est pourtant le fond de la pensée de Leibniz, comme le prouve ce fragment de sa polémique avec Stahl : « Que si l’âme avait le pouvoir d’ordonner à la machine d’exécuter un acte que celle-ci ne pourrait point faire spontanément, il n’y aurait dès lors plus de raison pour empêcher l’âme de commander quoi que ce soit à cette machine, attendu qu’aucune proportion entre l’âme et le corps et qu’aucune raison quelconque ne saurait démontrer quel serait le point où la puissance de l’âme serait limitée. Dans le saut, par exemple, si l’acte était plutôt accompli par l’énergie de l’âme que par la puissance d’un fluide élastique, il n’y aurait aucun motif pour qu’on ne pût sauter à quelque hauteur que ce fût. » Et Stahl répond ironiquement : « Ô âme, demeure chez toi, anima, mane domi ! » (Œuvres médico-philosophiques de G. E. Stahl, éd. Blondin, t. VI, p. 35.) — Les espèces sensibles des scolastiques sont les images par lesquelles nous connaissons les accidents des choses. Elles ne se promènent pas, à vrai dire, hors des substances : cette critique provient d’une confusion des espèces sensibles avec les εἴδωλα d’Épicure, mais quand une substance agit sur une autre, elle détermine dans cette autre substance, selon saint Thomas, la production de modes semblables aux siens. Descartes dit aussi dans le premier discours de sa Dioptrique « qu’il veut délivrer les esprits de toutes ces petites images voltigeantes par l’air, nommées des espèces intentionnelles, qui travaillent tant l’imagination des philosophes. »

  1. Ce ne seraient pas même des êtres. — L’être absolument indéterminé échapperait à toute définition et à toute intuition : il serait identique au néant. Il faut que l’être soit inné à lui-même, c’est-à-dire primitivement déterminé et poser, comme Hegel, un non-être identique à l’être, ou, comme certains évolutionnistes, un vivant sans instincts ou dispositions innées, c’est un pur non-sens. Cf. Principes de la Nat. et de la Gr., 2 : « Une monade, en elle-même et dans le moment, ne saurait être discernée d’une autre que par les qualités et actions internes, lesquelles ne peuvent être autre chose que ses perceptions (c’est-à-dire les représentations du composé ou de ce qui est dehors, dans le