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compagner tout seul son maître à sa dernière demeure. « Cependant, ajoute Fontenelle, les courtisans ne firent que ce qu’ils devaient : le mort ne laissait après lui personne qu’ils eussent à considérer et ils n’eussent rendu ce dernier devoir qu’au mérite[1]. » L’Académie de Berlin qu’il avait fondée ne songea pas à prononcer son éloge et ce fut l’Académie des sciences de Paris, qui par la bouche de Fontenelle, lui fit une magnifique oraison funèbre.

Nous avons passé sous silence la philosophie de Leibniz parce que nous la retrouverons tout entière en étudiant les Nouveaux Essais et la Monadologie. Terminons cette notice en empruntant à Fontenelle de curieux détails sur la vie intime, la manière de travailler et le caractère de Leibniz. « Il était d’une forte complexion. Il n’avait guère eu de maladies, excepté quelques vertiges dont il était quelquefois incommodé et la goutte. Il mangeait beaucoup et buvait peu, quand on ne le forçait pas, et jamais de vin sans eau. Chez lui il était absolument le maître, car il y mangeait toujours seul. Il ne réglait pas ses repas à de certaines heures, mais selon ses études. Il n’avait point de ménage[2], et envoyait quérir chez un traiteur la première chose trouvée. Depuis qu’il avait la goutte, il ne dînait que d’un peu de lait ; mais il faisait un grand souper, sur lequel il se couchait, à une heure ou deux après minuit. Souvent il ne dormait qu’assis sur une chaise, et ne s’en réveillait pas moins frais à sept ou huit heures du matin. Il étudiait de suite, et il a été des mois entiers sans quitter le siège ; pratique fort propre à avancer beaucoup un travail, mais fort malsaine. Aussi croit-on qu’elle lui attira une fluxion sur la jambe droite avec un ulcère ouvert. Il y voulut remédier à sa manière[3], car il consultait peu les médecins ; il vint à ne pouvoir presque plus marcher ni quitter le lit.

Il faisait des extraits de tout ce qu’il lisait, il y ajoutait ses réflexions, après quoi il mettait tout cela à part et ne le regar-

  1. Éloge de Leibniz, p. 132.
  2. « Leibniz ne s’était point marié, il y avait pensé à l’âge de cinquante ans, mais la personne qu’il avait en vue voulut avoir le temps de faire ses réflexions. Cela donna à Leibniz le temps de faire les siennes et il ne se maria point. »
  3. Analogie avec Descartes qui voulut se soigner lui-même et dans sa dernière maladie repoussa durement les médecins qui voulaient le saigner. « Messieurs, épargnez le sang français ! » Les dernières paroles de Leibniz roulèrent sur la manière dont le fameux Fustenback avait changé la moitié d’un clou de fer en or. Les dernières paroles de Descartes furent : « Çà, mon âme, il y a longtemps que tu es captive ; voici l’heure où tu dois sortir de prison, et quitter l’embarras de ce corps ; il faut souffrir cette désunion avec joie et courage ! »