Page:Leibniz - La Monadologie, éd. Bertrand, 1886.djvu/25

Cette page a été validée par deux contributeurs.

conseillaient les rois et les législateurs, tout un plan d’organisation civile et intellectuelle du peuple nouveau qui, pour ainsi dire, se révélait à l’Europe. Il voulait fonder une académie, des laboratoires, des bibliothèques et eut une entrevue en 1711 avec l’empereur de Russie. Il rêve d’être le Solon de la Russie et écrit pompeusement à Hanovre que son rêve va être réalisé par Pierre le Grand. C’est ainsi, enfin, qu’appelé à Vienne comme conseiller de l’empereur d’Autriche, il agit de tout son pouvoir contre la France et employa tous ses efforts à empêcher la paix d’Utrecht. Rappelons que ce fut alors qu’il composa la Monadologie pour le prince Eugène de Savoie. Leibniz n’attachait pas peu d’importance à son rôle diplomatique et l’on sent même, dans ses notes sur Descartes, une secrète envie de l’emporter encore de ce côté, et de laisser dans l’antichambre des princes le père de la philosophie moderne : « Je veux croire, dit-il, que la reine de Suède a eu beaucoup d’estime pour M. Descartes et qu’elle l’a honoré de sa confiance jusqu’à lui faire part, aussi bien qu’à M. Chanut, des dispositions qu’elle avait pour le dessein extraordinaire qu’elle a pris depuis ; mais de dire qu’elle l’ait mis de son conseil secret, c’est à quoi je ne vois pas d’apparence. J’ai su, à Rome, des personnes qui avaient eu l’honneur d’approcher souvent de la reine, qu’elle avait témoigné que M. J.-A. Borelli lui paraissait plus grand philosophe que Descartes lui-même. Je ne suis nullement de l’opinion de la reine. Cependant on voit par là que l’estime qu’elle a eue pour M. Descartes n’a pas été si grande qu’on dit ; je crois que s’il avait vécu, il aurait essuyé les inégalités de l’humeur de cette grande princesse[1]. »

Leibniz lui-même ne put se mettre complètement à l’abri des inégalités d’humeur des princes. Après la mort de la princesse électrice de Hanovre, Sophie (veuve d’Ernest-Auguste et sœur de la princesse palatine Elisabeth, à laquelle Descartes avait dédié ses Principes de philosophie), Leibniz cessa d’être en faveur. Le prince électeur George, devenu roi d’Angleterre, refusa les services de notre philosophe, et quand il mourut, d’une attaque de goutte, le 14 novembre 1716, le grand homme était complètement isolé, presque oublié. Il fut enterré sans pompe. Toute la cour avait été invitée à ses obsèques par le fidèle Eckard, son secrétaire, qui fut bien étonné d’ac-

  1. Gerhardt, t. IV, p. 323.