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s’écriant Utinam ex nostris esset ! — Le rôle de Leibniz comme historien, s’il n’a pas le même éclat, rappelle du moins, par certains côtés originaux, la profondeur du philosophe : en premier lieu Leibniz étudie les documents originaux exhumés par lui de la poussière des bibliothèques, chartes, traités de paix, déclarations de guerre, en un mot, tout ce qui nous met face à face et sans intermédiaire en présence des temps et des peuples qu’il s’agit de comprendre et nous fait pour ainsi dire revivre leur vie même ; en second lieu, Leibniz ne se contente pas de l’exacte vérité historique et de la parfaite couleur locale, il veut que l’historien apprenne à connaître le théâtre où l’activité humaine se déploie, les sources originelles, influences de races, de climats, de milieux, d’où découle cette activité. Il posa un des premiers dans sa Protogæa, qui est de 1693, le problème de l’origine du globe, et se livra dans ses Annales Brunsvicenses à de profondes recherches d’archéologie préhistorique, de géologie et de philologie. C’était comprendre l’histoire de la manière la plus neuve, la plus scientifique et préluder à son magnifique épanouissement dans notre siècle. Voici comment s’exprime Fontenelle sur ses Annales : « Elles faisaient précéder par une dissertation sur l’état de l’Allemagne tel qu’il était avant toutes les histoires, et qu’on le pouvait conjecturer par les monuments naturels qui en étaient restés, des coquillages pétrifiés dans les terres, des pierres où se trouvent des empreintes de poissons ou de plantes, et même de poissons et de plantes qui ne sont point du pays, médailles incontestables du déluge. De là, il passait aux plus anciens habitants dont on ait mémoire, aux différents peuples qui se sont succédé les uns aux autres dans ces pays, et traitait de leurs langues et du mélange de ces langues, autant qu’on en peut juger par les étymologies, seuls monuments en ces matières[1]. »

Leibniz comptait bien ne pas se contenter d’écrire l’histoire, mais laisser encore sa trace dans les événements historiques de son temps. C’est ainsi qu’après avoir échoué auprès de Louis XIV, il se tourne vers Charles XII pour arriver à la même fin : expulser d’Europe avec les Turcs les derniers vestiges de la barbarie. La défaite de Pultava brisa ces nouvelles espérances. C’est ainsi qu’il entra en relations avec le czar Pierre le Grand et lui proposa, pareil aux philosophes antiques qui

  1. Fontenelle, Éloge de Leibniz, p. 110.