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les immenses richesses intellectuelles accumulées dans son esprit par de si nombreuses lectures et surtout de si profondes méditations. Son génie, toujours agissant, cherchait sans cesse des moyens non seulement de répandre sa doctrine, mais de la faire passer dans les faits ; c’est un des traits de son caractère et par ce côté il ressemble à Descartes qui aspirait à nous rendre « maîtres et possesseurs de la nature ; » seulement Leibniz avait une ambition encore plus haute et semble avoir rêvé de voir la science et la philosophie maîtresses de la politique et directrices des sociétés. Du moins, par sa tentative de réconciliation des Églises, par la fondation de l’Académie de Berlin, par ses relations avec Pierre le Grand et le rêve caressé d’être le conseiller du Solon de la Russie, son séjour à Vienne où il travailla à nouer une alliance entre le czar et l’empereur, alliance qui eut été surtout dirigée contre la France, par toutes ces négociations et préoccupations diplomatiques, joua-t-il un rôle considérable dans les affaires de son temps et dans la politique de l’Europe.

Passons rapidement sur son œuvre de théologien et d’historien. Il conserva longtemps l’espoir de réconcilier les Églises, puisque sa correspondance avec Pellisson dura jusqu’à la mort de ce dernier, arrivée en 1693. Cependant Bossuet s’était, dès l’origine, montré intraitable sur le dogme et c’est vainement que Leibniz, dans son Systema theologicum écrit en 1686, avait essayé de formuler un credo mitoyen, pour ainsi dire, et d’appliquer à la question religieuse le large et fécond éclectisme qui lui avait si bien réussi en philosophie. On peut se demander, d’ailleurs, si Leibniz, en supposant qu’il eût réussi à entraîner Bossuet dans un système de conciliation, eût été avoué par les protestants d’Allemagne. Si religieux qu’il fût au sens le plus élevé du mot, il n’avait pas le moindre goût pour les pratiques de la religion et la forme extérieure du culte, fréquentant peu l’église, ne communiant que fort rarement. Il fut affublé en chaire, par un pasteur, d’un surnom qui voulait dire mécréant et qui lui resta parmi les gens du peuple. Néanmoins, on peut regarder cette tentative de réconciliation des Églises comme une des plus constantes préoccupations de Leibniz : lancer les Français sur l’Égypte, ce n’est qu’un projet du moment, une sorte d’expédient politique commandé par les circonstances, mais unir toutes les Églises dans une même foi, c’est une pensée généreuse pour laquelle il se passionna toute sa vie, bien que Bossuet le traite « d’hérétique et d’opiniâtre » tout en