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où l’on oublierait de citer les Allemands, et surtout en allemand, serait un ouvrage discrédité d’avance, mort-né. Ici se place la grande querelle de Leibniz et de Newton à propos de l’invention du calcul infinitésimal. L’Arithmétique des fluxions de Newton est de 1665 ; le grand ouvrage où il l’expose dans son ensemble et d’une manière complète est de 1686 (Principia mathematica philosophiæ naturalis, publié en 1667, mais écrit et achevé l’année précédente). C’est en 1684, dans les Acta eruditorum, de Leipsig, que Leibniz publia sa Nova methodus pro maximis ac minimis, où se trouve contenu le « calcul différentiel. » On voit combien il est difficile de décider la question de priorité. Seulement les noms et les signes inventés par Leibniz ayant prévalu, la question s’est trouvée pour ainsi dire résolue avant d’être agitée. Quand vint la discussion devant la Société royale de Londres, qui décida en faveur de Newton (1713), chaque année écoulée avait, pour parler comme Pascal, embrouillé la matière, et les passions de coterie, l’amour propre national achevèrent de tout gâter. C’est ainsi que de nos jours on a vu une discussion semblable aboutir à une semblable confusion : ce n’est pas Ch. Bell, c’est bien Magendie qui a trouvé le premier la double racine des nerfs, mais l’opinion publique ayant été d’abord égarée, restera longtemps indécise. Il semble prouvé que Leibniz a cultivé avec génie les semences presque imperceptibles, que Newton avait répandues dans ses ouvrages. Il eut le bonheur de prévenir Newton, en publiant le premier un système complet de calcul différentiel. Il eut encore l’avantage de le surpasser en proposant un algorithme meilleur, une notation plus simple et plus pratique que la science a conservée. Le dernier mot de cette grande controverse, bien résumée par Fontenelle, appartient donc à l’auteur de l’Éloge. « Il est vrai que ce vol ne peut avoir été que très subtil et qu’il ne faudrait pas d’autres preuves d’un grand génie que de l’avoir fait[1]. » Cependant s’il répugne de terminer le débat par un trait et de ramener en quelque sorte à une question personnelle un grand problème de l’histoire des sciences, le génie de Leibniz n’étant pas en question, on pourra s’en tenir au jugement de Biot, et dire que Newton a plus fait pour sa gloire et Leibniz pour le progrès général de l’esprit humain.

Certes Leibniz ne fut jamais un plagiaire : comme Molière, il reprenait son bien où il le trouvait. « On ne sent aucune

  1. Fontenelle, Éloge de Leibniz, p. 119 à 121.