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exprime l’univers tout entier d’une manière qui lui est particulière… ce qu’on trouvera d’autant plus curieux que les mathématiques y servent merveilleusement, en sorte que sans en avoir quelque teinture, il serait difficile de s’en aviser[1]. » Kuno Fischer a donc raison à tous égards d’attribuer une très grande importance au séjour de Leibniz à Paris : non seulement il fallait devenir écrivain français pour devenir un écrivain européen ; non seulement il fallait être le disciple de Pascal et de Huygens pour devenir l’émule de Newton et inventer le calcul infinitésimal ; mais encore il fallait devenir un des premiers mathématiciens du siècle pour puiser dans les mathématiques, sinon la première idée, du moins, les développements et la vérification d’un vaste système de métaphysique. À Paris, Leibniz vit aussi Malebranche qui avait publié en 1674 sa Recherche de la vérité, et l’on sait que l’harmonie préétablie et l’optimisme de Leibniz ont les plus grandes analogies avec les causes occasionnelles et l’optimisme de Malebranche. Peut-être même eût-il connaissance à la même époque de quelques théorèmes de Newton relatifs au calcul des fluxions. On voit que si Leibniz aimait, comme il le dit, à voir croître et fleurir dans le jardin d’autrui les graines qu’il avait semées, il aimait à voir aussi croître et fleurir dans son jardin des graines que d’autres y avaient apportées.

Leibniz ne fit qu’un très court séjour en Angleterre (janvier 1673). La langue anglaise ne lui fut jamais familière : « Je souhaiterais d’avoir la même connaissance de la langue anglaise (que du français) ; mais n’en ayant pas eu l’occasion, tout ce que je puis, est d’entendre passablement les livres écrits en cette langue. Et à l’âge où je suis, je doute si j’en pourrai jamais apprendre davantage. » C’est ainsi qu’il écrit à Th. Barnett en 1696, et à Coste, traducteur de Locke, en 1701 : « J’ai suivi votre version française parce que j’ai jugé à propos d’écrire mes remarques en français. Jusqu’à aujourd’hui ces sortes de recherches ne sont guère à la mode dans le pays latin. » Locke disait vers la même époque (1697) : « Il me semble que nous vivons fort paisiblement, en bon voisinage avec ces messieurs en Allemagne, car ils ne connaissent pas nos livres et nous ne lisons pas les leurs[2] ! » Les temps sont bien changés ! Anglais ou français, un ouvrage de philosophie

  1. Ed. Gerhardt, t. Ier, p. 423
  2. Ibid., t. IV. p 6, 7 et 8.