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que Dieu ait éliminé ou choisi librement les figures et les mouvements qui, d’entre tous les possibles, ont été appelés à la réalité. Dans la préface du Nizolius on peut recueillir de précieuses confidences sur l’idéal de philosophe et d’écrivain philosophique que Leibniz se figurait à cette époque : c’est une sorte de Discours de la méthode et de Discours sur le style combinés, ou, pour en donner une idée moins haute et plus exacte, une sorte de prospectus et de profession de foi d’écrivain et de philosophe. Fontenelle fait un éloge bien spirituel de cette préface. « La préface annonce un éditeur et un commentateur d’une espèce fort singulière. Nul respect aveugle pour son auteur[1], nulles raisons forcées pour en relever le mérite ou pour en couvrir les défauts. Il le loue, mais seulement par la circonstance du temps où il a écrit, par le courage de son entreprise, par quelques vérités qu’il a aperçues ; mais il y reconnaît de faux raisonnements et des vues imparfaites ; il le blâme de ses excès et de ses emportements à l’égard d’Aristote, qui n’est pas coupable des rêveries de ses prétendus disciples, et même à l’égard de saint Thomas[2]. » Dans le même ouvrage, Leibniz avait publié une lettre dont le titre est significatif : de Aristote recentioribus reconciabili. Sa théorie du style philosophique est curieuse et instructive : il réduit à trois toutes les qualités qu’il doit avoir, la clarté, la vérité et l’élégance. La clarté s’entend à la fois des mots qui doivent être bien définis et de la construction qui doit être dégagée et simple, sans ornements oratoires ou poétiques. La vérité dans le style ne doit pas être confondue avec la vérité dans les idées et les jugements : le style est vrai quand il se fait sentir et goûter immédiatement à l’esprit (nam claritatis mensura intellectus, veritatis sensus). L’élégance consiste dans un heureux choix des mots propres à plaire au lecteur ou à l’auditeur. Quant à l’utilité, elle regarde le fond plus que la forme : c’est plutôt une qualité des idées que du style. Avant tout, dit-il, consultons l’étymologie et surtout l’usage ; prenons nos mots et nos tours dans la langue populaire, et évitons comme la peste les mots techniques et savants. In vocabulis adhibendis hæc regula tenenda est, ut si origo ab usu dissentit, usum potius quam originem sequa-

  1. Nizolius (1498-1566), philosophe et philologue italien, contribua à la renaissance des lettres. L’ouvrage réédité par Leibniz était une virulente attaque contre la scolastique, dont voici le titre : De veris Principiis et de vera ratione philosophandi, in-4o, 1553.
  2. Fontenelle, Éloge de Leibniz, 113.