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Fontenelle dit avec beaucoup d’esprit : « Cette lecture universelle et très assidue le fit devenir tout ce qu’il avait lu. Pareil, en quelque sorte, aux anciens qui avaient l’adresse de mener jusqu’à huit chevaux attelés de front, il mena de front toutes les sciences. Aussi nous sommes obligés de le partager ici, et, pour parler philosophiquement, de le décomposer. De plusieurs Hercules l’antiquité n’en a fait qu’un, et du seul Leibniz nous ferons plusieurs savants[1]. » Avant d’être un savant universel, Leibniz manifesta un goût très vif pour la littérature et la poésie. Il savait les bons poètes par cœur ; et, déjà fort vieux, occupé de mille travaux divers, il pouvait réciter Virgile presque tout entier. Il prenait plaisir à faire des vers latins. Il en composa une fois trois cents en un jour, sans se permettre une seule élision, jeu d’esprit, mais jeu difficile, dit Fontenelle qui admire particulièrement une pièce sur le phosphore où Leibniz déploie toutes les ressources d’un esprit ingénieux, tout rempli des souvenirs de la fable et pénétré de l’antiquité. Il ne faudrait pas croire que ce lecteur acharné et enthousiaste manquât de critique et se contentât d’emmagasiner dans sa mémoire ce que les anciens et les modernes ont pensé. Le hasard pouvait présider à ses lectures, mais la pénétration de son esprit précoce présidait seule au choix des doctrines. Comme Descartes enfermé dans son poêle, il délibérait avec lui-même sur ce qu’il devait garder ou rejeter. Rien de plus curieux que de voir ce philosophe de quinze ans, dans un bocage, peser et comparer gravement Platon et Aristote et se demander s’il conserverait les formes substantielles. « Étant enfant, j’appris Aristote, et même les scolastiques ne me rebutèrent point ; et je n’en suis point fâché présentement. Mais Platon aussi, dès lors avec Plotin me donnèrent quelque contentement, sans parler d’autres anciens que je consultai. Par après, étant émancipé des écoles triviales, je tombai sur les modernes ; et je me souviens que je me promenai seul dans un bocage auprès de Leipsig, appelé le Rosenthal, à l’âge de quinze ans, pour délibérer si je garderais les formes substantielles. Enfin le mécanisme prévalut et me porta à m’appliquer aux mathématiques[2]. » Ainsi se développaient les deux qua-

    M. Marion a donnée de plusieurs passages de l’écrit intitulé : In specimina Pacidii introductio historica, dans son excellente édition de la Théodicée. Pacidius, c’est Leibniz lui-même.

  1. Éloge de Leibniz, p. 104.
  2. Erdmann, 701, Lettres à Rémond de Montmort.