Essais de Theodicée. 309
est volontaire et libre ; et cependant l’amour de la vie l’emporte indubitablement sur l’amour du bien. Le chagrin vient du souvenir des biens qu’on perd ; et l’on a d’autant plus de peine à se déterminer, que les raisons opposées approchent plus de Pégalité, comme l’on voit que la balance se détermine plus promptement, lorsqu’il y a une grande différence entre les poids.
325. Cependant, comme bien souvent il y a plusieurs partis à prendre, on pourroit au lieu de la balance comparer l’ame avec une force, qui fait effort en même temps de plusieurs cotés, mais qui n’agit que là où elle trouve le plus de facilité ou le moins de résistance. Par exemple, l’air étant comprimé trop fortement dans un récipient de verre, le cassera pour sortir. Il fait elfort sur chaque partie, mais il se jette enfin sur la plus foible. C’est ainsi que les inclinations de l’ame vont sur tous les biens qui se présentent : ce sont des volontés antécédentes ; mais la volonté conséquente, qui en est le résultat, se détermine vers ce qui touche le plus.
326. Cependant cette prévalence des inclinations n’empêche point que l’homme ne soit le maître chés luy, pourveu qu’il sache user de son pouvoir. Son empire est celuy de la raison : il n’a qu’à se préparer de bonne heure pour s’opposer aux passions, et il sera capable d’arrester Pimpetuosité des plus furieuses. Supposons quäugusle, prest à donner des ordres pour faire mourir Fabius Maximus, se serve à son ordinaire du conseil qu’un Philosophe luy avoit donné, de réciter l’alphabet Grec, avant que de rien faire dans le mouvement de sa colère : cette réflexion sera capable de sauver la vie de Fabius et la gloire d’Auguste. Mais sans quelque réflexion heureuse, dont on est redevable quelque fois à une bonté Divine toute particuliers, ou sans quelque adresse acquise par avance, comme celle d’Auguste, propre à nous faire faire les réflexions convenables en temps et lieu, la passion l’emportera sur la raison. Le cocher est le maître des chevaux, s’il les gouverne comme il doit, et comme il peut ; mais il y a des occasions où il se néglige, et alors il faudra pour un temps abandonner les rênes :
Fertur equis auriga, nec audit currus habenas.
327. Il faut avouer qu’il y a tous jours assés de pouvoir en nous sur nostre volonté, mais on ne s’avise pas tous jours de l’employer. Cela fait voir, comme nous l’avons remarqué plus d’une fois, que le pouvoir de