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QUI J’AI TROUVÉ DERRIÈRE MA MALLE ?

Ma malle n’est pas la première malle venue ; elle n’est pas non plus la dernière venue, car elle remonte à cent cinquante ans environs. Elle est, par ma foi, très curieuse et mérite bien dix lignes de description : elle mesure 1m, 25 de long, sur 0,90 de haut. Le couvercle en est bombé comme un dôme d’église. L’extérieur est en cuir repoussé, représentant des fleurs et des fruits qui, dans le temps, étaient recouverts de peinture, aujourd’hui presque complètement effacée ; aux angles, des motifs en cuivre délicieusement fouillés. La serrure est représentée par la tête bouffie d’un ange ; pour l’ouvrir, il faut, ô horreur ! introduire la clef dans sa bouche. Quand la serrure crie sous l’effort, il semble qu’on brise la mâchoire au pauvre mignon !

L’intérieur de la malle est en satin rose, d’un satin pâle, transparent, un peu fatigué, comme le satin de la peau d’une jolie femme qui a trop passé de nuits au bal.

J’imagine que ma malle n’est pas une malle ; ce doit être un coffret de mariée, ce que de nos jours on nomme une corbeille de noces. Les dentelles merveilleuses, les bijoux de prix, les robes de lampas et de levantine, sans compter la boîte à mouches et les mille colifichets à la mode d’alors, étaient confiés à ce coffret par l’épousé énamouré pour l’épousée triomphante. Et comme tout cela fleurait bon le musc ; — en admettant que le musc sente bon ; — et comme tout cela était pimpant, brillant, pétillant, réjouissant, affriolant, excitant ! Ce fut le beau temps de ma malle.

Aujourd’hui, plus sévères sont ses fonctions ; plus graves sont ses devoirs : elle contient des souvenirs.

Autrefois chargée d’entretenir la flamme sacrée de l’amour, par son superbe contenu, elle conserve maintenant les cendres de ce qui a été la jeunesse, de ce qui a été la beauté, de ce qui a été l’amitié, de ce qui a été les honneurs, de ce qui a été l’orgueil ; autrefois temple élevé à la gloire des vivants ; aujourd’hui nécropole réservée à la mémoire des morts ! En un mot, c’est dans son sein que je dépose pieusement les épaves de ma vie.

Ainsi va le monde. L’existence serait d’ailleurs trop ennuyeuse, s’il fallait toujours être en fête. Je dis cela aussi bien pour les hommes que pour les malles.

Or, tu sauras, ami lecteur, que ma fameuse malle repose à Bar-sur-Seine, dans une maison patriarcale, où les miens ont vécu heureux et honorés, et où se perpétuent les tradi-