dîneurs quelques couplets de chansons égrillardes. Chose curieuse : pas de femmes qui se livrent à cet exercice vocal ; les exemples qu’elles ont sous les yeux leur apprennent que ce n’est pas en chantant qu’on fait sa fortune, mais en « faisant chanter » les hommes.
Mais voici que, au haut des mâts élevés, l’électricité flamboie, ainsi qu’une lumière de phare au sommet des tours. Le phare indique au marin le port de refuge ; l’électricité indique au Parisien la salle de jeu. Car, à Bougival, il y a maintenant un casino comme dans une première ville d’eaux venue. On y joue la partie au premier étage… et la comédie, au rez-de-chaussée ; tandis que la plate-forme supérieure est réservée aux poètes, aux amants des étoiles et aux rêveurs de chastes voluptés. Il n’y a jamais personne sur la plate-forme.
Dix heures sonnent je ne sais où, car il ne doit pas y avoir d’église en ces lieux ; et, s’il existe une église, elle ne doit contenir ni horloge ni timbre sonore. Ce serait la profaner que de l’employer à indiquer l’heure du bal, l’heure du jeu et l’heure de cette chose innommable qu’on ose appeler ici l’amour.
Il nous faut aller au bal des Canotiers. C’est là qu’a lieu la grande fête, où, m’a-t-on assuré, toutes les débauches et tous les vices tiennent leurs flamboyantes assises.
Nous voici arrivés à la porte qui s’ouvre tout près du bord de la rivière. Cela va être piquant de voir, d’un côté, nos contemporaines risquer des pas aventureux, et, de l’autre, la Seine rouler ses flots couleur aventurine sous le regard curieux de la grande blafarde qui semble se moquer de nous là-haut.
Eh bien ! ce n’est pas cela du tout. Imaginez-vous qu’on descend je ne sais combien de marches avant d’arriver à la salle de bal, encaissée de tous les côtés par des montagnes de terre et des monceaux de toiles, si bien que l’œil cherche en vain l’horizon. Un orchestre, des tables de café, un vestiaire et… des water-closets, voilà ce qui arrête la vue aux quatre coins de la salle. Au-dessus, parsemés de tous les côtés, les drapeaux des différentes nations du monde connu. On se croirait à une exposition industrielle internationale. C’est qu’en effet, il y a là des marchandises de tous les pays : voici des Françaises, des Anglaises, des Allemandes, des Espagnoles, des Italiennes, des Péruviennes, des négresses, etc.
En voilà des jeunes qui devraient être vierges, si la virginité pouvait exister en ces lieux ; en voilà des vieilles qui, comme le vin, paraît-il, gagnent en prenant des années.
De même que dans mon enfance j’ai été élevé sur les genoux de l’Université (alma-mater), voici une matrone qui, dans ma jeunesse et dans la sienne alma meretrix), m’a élevé entre ses bras, je la reconnais…