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les livre telles quelles, écrites de premier jet, et sans avoir été « expurgées ».

Peut-être, quand vous serez arrivée aux cinq dernières lignes, Madame, penserez-vous avec M. de Voltaire que :

Le secret d’ennuyer est celui de tout dire.

S’il en est ainsi, ce sera ma condamnation… et la vôtre.

Partis de Paris, gare Saint-Lazare, à six heures et demie, nous sommes arrivés à Bougival à sept heures et demie. Moyens de locomotion

le railway jusqu’à Rueil, puis le

tramway à vapeur. Chemin faisant, avoir aperçu Asnières, fourmillant de femmes qu’on paie très cher pour ne pas être vertueuses ; puis Nanterre, où l’on paie très bon marché des femmes pour rester vertueuses. Aussi n’y en a-t-il qu’une par an qui gagne un prix de vertu. On la nomme Rosière. Le Guide Joanne ne dit pas pourquoi ?

Bougival, joli port « de Seine », situé à 18 kilomètres de Paris, possède 2,000 habitants environ. Ces habitants se divisent en deux catégories : ceux qui sont industriels, et ceux qui sont gargotiers. Les premiers fabriquent du blanc d’Espagne (rien de la politique), de la chaux hydraulique et de l’acier damassé.

Les seconds fabriquent une cuisine douteuse, qu’ils vendent le plus cher possible. En été, une infinité de Parisiens et de Parisiennes éprouvent le besoin d’aller manger de cette cuisine et de danser ensuite par une chaleur sénégalienne qui défie toute concurrence. C’est ce spectacle étrange que nous étions venus chercher, sous un soleil de plomb, à travers une poussière de feu.

Sur la rive gauche de la Seine, se trouve un hôtel situé en plein soleil ; c’est là, assis à des tables placées le long de la route, que les joyeux viveurs et les belles viveuses (comme on dit dans les romans) prennent des apéritifs variés. Tout à l’heure ils s’enfourneront dans l’intérieur de l’hôtel et dîneront dans un jardin divisé en boxes de verdure, d’où ils n’apercevront rien qu’un coin de ciel bleu, dont la vue est salie du reste par la fumée d’un régiment de cigares. Ils étoufferont dans ces cabinets particuliers de convention et paieront très cher un dîner médiocre. Ainsi le veut la mode.

Cependant, les femmes, affublées de toilettes insolentes, se pavanent en toute liberté dans la rue, comme dans leur chambre à coucher. Les couleurs les plus voyantes, les chapeaux les plus ébouriffants, les cheveux les plus rutilants, accompagnent au mieux l’impudence de leurs regards et la hardiesse de leurs gestes. Elles sont arrivées en voiture de Paris et y retourneront de même. Le chemin de fer est fait pour les petites gens et les insulaires de Carpentras ! Sans cœur, d’ordinaire sans esprit, souvent sans beauté, ce sont