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toute rouge de honte et de confusion. Ici, deux papillons, le mari et la femme, endormis dans les ailes l’un de l’autre. Au-dessus de ma tête, j’entends piailler ; ce sont de petites hirondelles dans leur nid qui appellent à grands cris la mère hirondelle leur apportant la provende journalière ; autour de moi un léger bruissement, ce sont des mouches un peu folles ; dans l’angle du mur une toile tendue ; derrière elle, tapie, dissimulée, une araignée guettant les mouches.

Que de choses mortes, que d’êtres vivants et que de vivantes pensées en ce coin retiré ! Je m’arrête confondu : voici le vol, l’amour, l’épargne, le dévouement maternel, la folie du jeune âge, la haine hideuse, réunis là comme en une ville habitée par les hommes.

Je ne pense plus aux trésors contenus dans ma malle ; tout cela est passé ! Que m’importe le passé ! Je vois le présent se dresser devant moi, dans ces infiniment petits sans doute, mais avec une énergie d’existence, une puissance de vitalité qui jettent mon esprit en des étonnements profonds, en des admirations étranges. Ainsi, là, je retrouve nos vices et nos vertus ; là nos passions et nos désirs ; là nos espoirs et nos craintes. Dans cette ombre tutélaire s’agite tout un monde qui est l’image du nôtre — à moins que le nôtre ne soit l’image de celui-là !

À ce moment, un rayon de soleil illumine tout à coup d’une lueur divine l’étroit passage laissé libre entre la malle et le mur. Ici, il accroche de l’or, et là, de la pourpre, faisant riches et resplendissants, ces humbles objets, qui tout à l’heure dormaient dans une sorte de crépuscule. La feuille jaunie, le brin de paille, le croûton de pain, le morceau de lettre, le lambeau d’étoffe brillent maintenant d’un éclat surnaturel dans la poussière de feu !

Sortant de son trou, je vois le museau de la souris qui semble émerveillée ; l’araignée dans sa toile s’endort paresseuse ; les papillons se réveillent et étirent amoureusement leurs ailes diaprées ; les mouches plus joyeuses bourdonnent de droite et de gauche ; et là haut dans le nid les hirondelles chantent un chant d’allégresse et de reconnaissance.

Tout est en joie, tout est en fête dans ce petit domaine d’un mètre carré. Les splendeurs du trône, les hauts faits des conquérants, les découvertes des savants, la beauté rayonnante des femmes, les lèvres qui aiment, celles qui prient, les orateurs qui émeuvent, les poètes qui chantent, les politiques qui gouvernent ; réunissez par la pensée toutes les gloires, toutes les splendeurs, tous les éclats, tous les bonheurs et vous n’atteindrez pas l’intensité de vie suprême qui anime en ce moment ce petit coin de grenier.

Oh ! soleil, toi qui éclaires à Paris Notre-Dame, à Moscou le Kremlin, à Rome Saint-Pierre, à Londres Westminster, à