répondit Lemercier, c’est la guerre de Sept Ans et surtout le compte naïf qu’il en a rendu avec un vrai dédain de fausse gloire. Son pays s’est élevé avec lui et a décliné avec lui ; on pourrait donc le caractériser en le nommant l’Épaminondas des rois. ― Belle expression ; mais j’effacerai son royaume de la carte. ― Vous ne nous ôterez pourtant pas, réplique le poète, le souvenir de la philosophie sur un trône ; c’est une rareté. ― Ah ! ah ! je n’ai pas ce dessein, mon bon Lemercier. »
Il interrompit tout à coup sa lecture et lui demanda inopinément : « Vous m’avez dit votre préférence sur le premier capitaine parmi les anciens ; lequel des modernes vous paraît supérieur aux autres ? »
J’avais là, dit M. Lemercier, une heureuse occasion de flatterie, mais : Nous ne songions ni l’un ni l’autre à nous-même, et je lui répondis : « C’est, je crois, le prince Eugène. ― Pourquoi ? reprit Bonaparte ; j’ai cru que vous alliez me nommer Turenne… Quel dommage qu’il ait péri avant de livrer bataille à Montecuculli ! Deux vrais Fabius, l’un contre l’autre ! Mais vous glissez vite sur Montecuculli, ajouta-t-il en parcourant toujours le livre ; son nom sonne mal ! Oh ! avec vous autres poètes, on ne va pas à l’immortalité quand on a un nom baroque. Mais enfin, pourquoi préférez-vous Eugène ? » Lemercier répondit (et cette réponse est bien frappante dans la bouche d’un poète de ce temps-là ; on croirait entendre M. Thiers) qu’ayant lu les mémoires, les traités militaires, examiné les cartes, les plans de campagne, et comparé les capitaines ensemble, Eugène lui avait paru à la fois le plus hardi et le plus