en riant, on ne m’enrégimente pas ainsi ; il faut d’abord que je sache avec qui, pour qui et contre qui. ― Vous allez le savoir. » Et là-dessus, tous ses bulletins étant distribués, il m’entraîne dans une embrasure de croisée et me dit : « Il s’agit de sauver Paris du massacre et de l’incendie. ― Comment cela ? ― Il y a des hommes qui sont nés fléaux ! Blanqui est un de ceux-là. A l’instant où je vous parle, accourent autour de lui, au Champ de Mars, cent mille furieux qui lui obéissent ; dans une heure, ils partiront du Champ de Mars, ils marcheront sur l’Hôtel de Ville, ils renverseront le gouvernement provisoire, ils égorgeront tout ce qui résistera, résolus à mettre le feu partout, s’ils sont vaincus. » Tout exagéré que me parût ce récit…, car dans ce temps-là nous ne regardions pas de telles monstruosités comme possibles…, la physionomie, l’accent de Sobrier m’émurent profondément. « Oh ! s’écria-t-il, en se prenant la tête entre les mains et en pleurant. Moi qui rêvais une République d’anges ! » Puis avec une énergie fiévreuse : « Voilà ce qu’il faut empêcher, voilà ce que j’empêcherai : je l’ai promis à Lamartine ! ― A Lamartine, répondis-je, vous avez vu Lamartine ! ― Oui, il m’a fait appeler cette nuit. Nous avons causé pendant une heure : c’est fini, je lui appartiens ! Quel homme, quel républicain et quel stratégiste ! Il m’a tracé lui-même tout mon plan d’attaque. Je masse mes hommes dans les rues adjacentes à la route que doit suivre Blanqui ; et quand ses premiers rangs auront passé, je coupe sa bande en deux : il trouve mes deux cent mille hommes entre l’Hôtel de Ville et lui : je le défie bien d’avancer ! »
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