le complément naturel de cet hommage. On me demanda de m’en charger. Je refusai d’abord, puis j’hésitai, puis j’acceptai. Il me sembla, en y réfléchissant, qu’il y avait là pour moi un devoir de gratitude. J’avais été un des amis des derniers et sombres jours du poète. J’avais été témoin de ses efforts surhumains de travail pour se libérer de ses dettes. J’avais été confident de ses désespoirs. Je trouve, parmi mes papiers, à la date de 1860, cette lettre de lui.
« Voici un des jours les plus tristes de ma vie ; c’est ce jour qu’on déménage les vieux meubles de Milly, vendus à un étranger, et avec ces chères reliques, les racines profondes de mon cœur d’enfant !Ma patrie était la pierre de l’âtre de ce foyer natal » Plus tard, la maladie vint s’abattre sur lui en même temps que la détresse, et une visite du matin me le montra écrasé sous ce terrible et double coup. Il était couché, la figure rouge de fièvre, les yeux à demi fermés, la voix éteinte. Une attaque de rhumatisme articulaire lui arrachait des cris étouffés. Tout à coup, la porte s’ouvre, un domestique entre et lui présente un papier ; il l’ouvre, le lit, et le jetant sur la couverture, il me dit, avec un accent de mélancolique douceur : « Ah !les hommes sont cruels ! » Je prends ce papier ; c’était un billet à ordre, avec protêt et menaces de poursuites dans les vingt-quatre heures. Mon émotion fut profonde. La somme était trop forte pour que je pusse l’acquitter à moi seul. Je courus chez une femme de cœur, dont je suis heureux d’inscrire ici le nom, Mme Schneider, la belle-mère de M. Gilbert, dont j’ai raconté l’acte de