à lui peser comme une entrave insupportable. « Adieu, à mon île ! s’écriait-il ; métier de Robinson n’est pas métier de ce temps ! Il s’agit de la vie et de la mort des nations ! Honte à celui qui se sent du courage à l’âme et qui consent à s’isoler !… Pour moi, je crois que j’en mourrais ! » Il n’y tint plus, et un jour, sans demander de congé, il partit pour Paris. Ses premières démarches eurent pour but, un simple changement de résidence. Puis, il comprit qu’il y a des fonctions incompatibles, qu’on ne peut pas être ingénieur jusqu’à six heures du soir, et philosophe le reste du temps ; que la pensée, et surtout la pensée active, militante, est une maîtresse jalouse qui n’accepte pas de partage, que la condition première de la mission qu’il se proposait était de ne relever que de soi-même, qu’il fallait enfin choisir entre son rôle et son état. Il choisit. Il demanda un congé illimité ; c’était donner sa démission.
Le parti était rude, non pour lui ; l’incertitude même de son avenir nouveau lui était un stimulant de plus ; il éprouvait une sorte de joie âpre à la pensée des sacrifices qu’il faisait à sa cause, des privations qu’il allait subir pour elle. Mais sa mère ! quelle fut sa surprise, son regret, sa crainte ! Avoir tout sacrifié pour assurer une profession à ses fils, et, au moment où ils entrent à pleines voiles dans la carrière, voir celui des trois sur lequel reposaient peut-être ses plus chères espérances, tourner le dos à un noble but déjà atteint, se jeter dans l’inconnu, dans la misère peut-être ; mais tel était l’ascendant naturel de Reynaud, même dans sa jeunesse, tel était le respect qu’il inspirait à tous, même à sa