Je suis né en 1807, dans l’appartement que j’occupe en 1887. Mon cabinet de travail était le cabinet de travail de mon père. J’ai marché à quatre pattes dans ce salon où j’ai vu mes enfants et mes petits-enfants jouer, grandir, avoir dix ans, avoir quinze ans, avoir vingt-cinq ans, et la place où s’assied ma fille, est celle où s’asseyaient ma mère et ma femme. Il n’y a pas jusqu’à la salle à manger qui n’ait son souvenir. Le poêle est surmonté d’une statue en plâtre, de Houdon, la Frileuse, qui s’y chauffait déjà du temps de mon père et de ma mère. Du haut de son piédestal, elle a présidé, comme une sorte de divinité lare, à toutes les fêtes qu’ont données mes parents ; et ma mère avait le génie des fêtes. J’ai hérité ce goût de ma mère. J’ai réuni quelquefois à ma table, plusieurs des personnages illustres de notre temps, de façon que ma Frileuse a vue en quatre-vingts ans passer tour à tour M. de Fontanes et M. Guizot, Lemercier et Sardou, Picard et Augier, Dickens et Labiche, Mlle Contat et Mme Ristori… J’en passe, et non des moindres. Sous le nom de ma Frileuse, on pourrait écrire de jolis mémoires : les Mémoires d’une statue.
Enfin, le croirait-on ? J’ai une quatrième patrie.
En 1834, l’année de mon mariage, j’allai m’établir pour l’été, dans un jolie petit village, situé sur les bords de la Seine, entre Corbeil et Melun, et qui s’appelle Seine-Port. J’y demeure encore, je suis le plus ancien bourgeois du village. Oh ! comme Scribe a eu raison de me pousser à acheter la petite maison que j’habitais ! Depuis ce jour, ma vie s’est métamorphosée. D’abord j’