du théâtre, et je rêvais toujours à la revanche, quand un des plus heureux hasards de ma vie mit sur ma route une tragédienne de génie, Adélaïde Ristori. Médée, devenue Medea, fut pour mon interprète, l’occasion d’un véritable triomphe, où j’eus ma part. Ma tragédie portée par elle dans toutes les capitales de l’Europe, et même en Amérique, traduite tour à tour en italien, en anglais, en allemand, en hollandais, fut jouée partout, excepté sur le théâtre pour lequel elle avait été faite, et dans la langue où elle avait été écrite. Mais, le résultat le plus inattendu de mon succès fut de me réconcilier avec Mlle Rachel. Par un de ces élans de générosité qui lui étaient propres, elle y applaudit au lieu de s’en irriter ; elle me sut gré de m’être défendu, et vengé de cette façon, même contre elle ; cela me grandit à ses yeux, et elle me tendit la main dans une circonstance que je ne saurais oublier.
Elle était au Cannet, mourante. J’y arrivai par hasard. Je courus aussitôt chez elle. J’appris là que ses journées se passaient dans ces alternatives d’illusions et de sombre clairvoyance, qui sont propres aux maladies organiques. Elle disait souvent : « J’espère six heures par jours, et le reste du temps, je désespère. » Ses souffrances cruelles se traduisaient parfois plastiquement en attitudes pleines de noblesse et d’élégance ; attitudes dont elle avait conscience, car jamais, même au milieu des plus violents troubles de l’âme ou du corps, les grands artistes dramatiques ne cessent de se voir ; ils se sont à eux-mêmes un éternel spectacle. Si réel que soit leur désespoir, ils y assistent. Mlle Rachel