non pas au théâtre et devant ses camarades, mais chez elle, en présence de quelques-uns de ses amis : elle les choisira elle-même ; elle en invitera autant ou aussi peu qu’elle voudra, et moi j’arriverai seul avec le manuscrit. Si l’ouvrage déplait à ce nouveau comité et à elle, je remporte la pièce et je me regarde comme bien jugé. S’il lui plaît à elle et à eux, elle le jouera, elle y aura un grand succès, et elle m’appellera son sauveur. » L’offre est faite et acceptée ; Mlle Rachel dit le soir à une de ses amies : « Je ne puis refuser à M. Legouvé, mais je ne jouerai jamais cette… » J’hésite à écrire le mot, tant il fut expressif et en dehors du répertoire classique. Rendez-vous fut pris pour le surlendemain ; les juges, choisis par l’artiste, étaient Jules Janin, Merle, Rolle et le directeur du Théâtre-Français.
J’arrivai un peu ému sans doute, mais maître de moi pourtant ; j’étais convaincu que j’avais raison, et je m’étais bien préparé pour le combat. Voici comment. Scribe était un lecteur admirable, et il avait merveilleusement lu notre pièce devant le comité, sauf en une partie. Selon moi, le rôle d’Adrienne n’avait pas été assez approprié par le lecteur à Mlle Rachel ; il l’avait lu avec beaucoup de grâce, d’esprit, de chaleur, mais comme on lit un rôle de jeune première ; la grandeur y manquait un peu, on ne sentait pas assez l’héroïne sous la femme. Or, c’était précisément là le point par lequel on pouvait apprivoiser, acclimater Mlle Rachel à ce personnage nouveau. L’entreprise n’était pour elle ni sans périls ni sans difficultés ; il fallait donc lui atténuer les uns et lui aplanir les autres ; il fallait lui tracer d’avance, par la façon de dire,