un qui écoute et s’intéresse à ce qu’il entend ; mais s’étant aperçue que je m’en apercevais, elle se renfonça immédiatement dans son siège et reprit son visage de marbre. La lecture finie, nous passons, Scribe et moi, dans le cabinet du directeur, qui, quelques instants après, vint nous y rejoindre, et nous dit, avec une expression de regret que nous acceptâmes comme sincère, que Mlle Rachel ne se voyait pas dans notre rôle, et, que, l’ouvrage étant composé pour elle, le comité était d’avis de regarder la lecture comme non avenue. « Autrement dit, répondit Scribe, notre pièce est refusée. Très bien ! Tout vient à point à qui sait attendre. » Le lendemain, trois directeurs différents vinrent nous demander l’ouvrage. Scribe aimait les revanches qui ressemblent à des vengeances, il estimait qu’elles doivent être servies chaudes ; il voulait donc accepter ; je m’y opposai absolument. « Mon cher ami, lui dis-je, la pièce a été faite pour le Théâtre-Français, il faut qu’elle soit jouée au Théâtre-Français. Le rôle est écrit pour Mlle Rachel, il faut qu’il soit joué par Mlle Rachel. ― Mais comment l’y décider ? ― Je n’en sais rien, mais il faut que cela soit. Dans le courant de notre travail, où votre part a été si considérable, vous m’avez fait quelquefois l’honneur de me dire que je comprenais mieux le rôle d’Adrienne que vous. J’ai toujours senti, en effet, un personnage nouveau dans cette tragédienne qui s’est laissé gagner aux nobles sentiments des héroïnes tragiques qu’elle représente, dans cette interprète de Corneille, à qui la grandeur de Corneille a passé dans le sang. Eh bien, ce personnage ne peut paraître que sur le théâtre
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