anglais. La lectrice était une pauvre institutrice, qui, dans un entr’acte de lecture, dit en soupirant : « Ah ! si je pouvais jamais réaliser mon rêve. ― Et quel est donc votre rêve, mademoiselle ? ― D’avoir quelque jour, dans un bien long temps, douze cents livres de rente, qui me donneraient l’indépendance et le repos. » A quelque temps de là, un soir, après le dernier chapitre d’un roman assez insignifiant, Scribe dit tout à coup à la lectrice : « Savez-vous, mademoiselle, qu’il y a là un fort joli sujet de comédie en un acte ? C’est vous qui me l’avez fourni, voulez-vous que nous fassions la pièce ensemble ? » Vous jugez si elle accepta. Trois jours après, Scribe descend au salon avec la comédie achevée et, trois mois plus tard, on annonce la première représentation. Le matin, Scribe se rend chez son agent dramatique : « Aujourd’hui, lui dit-il, on donne de moi une pièce, où j’ai une collaboratrice. Quel sera le succès de l’ouvrage ? je l’ignore ; mais ce que je sais, c’est que cette comédie rapportera douze cents francs par an à ma collaboratrice, tout le temps de sa vie : arrangez-vous pour que cela ait l’air naturel. » Voilà un trait bien délicat, n’est-ce pas ? et Scribe, qu’on a tant accusé de plagiat, n’a imité cela de personne, et n’a pas eu beaucoup d’imitateurs. Mais attendez la fin. Affriandée par ce succès, l’institutrice trouvait sans cesse dans les romans anglais de nouveaux sujets de comédie, et les apportait à Scribe, qui déclinait l’offre en souriant : sur quoi, la collaboratrice, quand on lui vantait Scribe, répondait tout bas : « Oh ! oui ! oui ! c’est un charmant
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