honte de me sentir, de me montrer à elles, en pleine force, en pleine santé. Peu à peu, cependant, ces tristesses se dissipèrent. Le passé, se levant de nouveau entre nous, chassa ce sombre présent. La conversation reprit entre elles et moi, comme autrefois, pleine d’effusion et de souvenirs émus, et je leur promis, en les quittant, de payer ma dette de gratitude à M. Lemercier autrement que par quelques lignes de journal. Je me tins parole. Le 25 octobre 1879, le jour de la séance publique de l’Institut, j’allai m’asseoir en costume d’académicien, comme représentant de l’Académie française, à la petite tribune circulaire où ont lieu les lectures, et là, à cette même place où M. Lemercier avait si bien fait valoir, en 1829, ma pièce de vers couronnée, je lus une étude approfondie sur lui, où j’essayai de faire revivre dans son originalité puissante, la figure trop oubliée de l’auteur d’Agamemnon et de Pinto. Malheureusement, aucun de ces chers amis d’autrefois n’était là pour m’entendre ; la mère et la fille avaient disparu toutes deux comme le père ; c’est à leur mémoire seule que s’adressèrent mes paroles ; ma petite couronne d’immortelles ne fut placée que sur un tombeau.
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