en face les uns des autres, à l’état d’êtres égaux et libres. Enfin, si comme je le voulais, le premier acte était consacré à la peinture de cette société debout, paisible et puissante, quel coup de théâtre devait produire l’annonce d’un tel arrêt de mort !
Enthousiasmé de mon sujet, j’écrivis à Scribe pour lui demander de l’exécuter avec moi, mais à titre d’offrande. Je signai ***, et j’ajoutai avec la comique suffisance de la jeunesse, quand elle s’avise d’être mesurée : je serai donneur discret. Ce donneur discret m’enchantait. J’en étais fier, en vrai rhétoricien, comme d’une bonne expression. J’ai bien souvent ri depuis en y pensant.
Scribe répondit à M. ***, une lettre pleine de bienveillance avec une pointe d’ironie spirituelle. Il devina bien qu’il avait affaire à quelque tête de dix-huit ans. « Monsieur, m’écrivit-il, votre sujet est piquant et nouveau ; seulement, pour qu’il réussisse, il y a une condition indispensable : c’est que le public, le jour de la première représentation, croie un peu à la fin du monde. Voilà l’obstacle. Pour le moment, il en est à mille lieues, et cela sera difficile à lui faire accepter. Heureusement, on annonce pour l’année prochaine, une comète qui doit briser notre globe comme verre… Attendons la comète. Peut-être sa venue mettra-t-elle le public en veine de terreur. J’en profiterai pour faire la pièce, ou plutôt nous en profiterons, car j’espère bien que ce grand événement, qui renversera tant de chose, déchirera aussi le voile de l’anonyme derrière lequel vous vous cachez. »