n’était pas seulement un enthousiaste, c’était un affectueux. On n’a pas impunément aimé, et été aimé pendant quatorze ans. Pendant quatorze ans, pas un seul jour où il ne fût parti de sa chère maison pour aller à son théâtre ! Pas un seul soir où, au sortir de son théâtre, il n’eût retrouvé sa chère maison. Pendant quatorze ans il n’avait pas obtenu un seul succès sans avoir, pour couronnement de ses couronnes, sa femme et ses enfants à embrasser. Mais il ne put pas les emmener. Les frais de voyage eussent absorbé les produits du voyage. Il lui fallut se séparer d’eux afin de travailler utilement pour eux. Et maintenant, quel était son lot ? Une vie d’auberge ! Une chambre d’auberge ! La plus dure de toutes les solitudes, la solitude d’auberge ! Quand il rentrait le soir après quelque brillante représentation, et que, sa porte fermée, il se trouvait tout seul au coin de son triste foyer de passage, les joies de l’amour-propre, réduites à elle seules, lui semblaient chose bien aride et même bien amère. Ses lettres trahissaient sa tristesse profonde. En juin 1837, il écrivit à un ami : « Depuis que j’ai reçu ces bonnes lignes de toi, j’ai passé des jours bien sombres. C’est ce qui m’a empêché de te répondre. A quoi bon parler à ceux qu’on aime des maux sans remède ? Je suis triste parce que je suis seul, et comme je me suis condamné par devoir à cette solitude, il est inutile de me plaindre. » Plus tard, parlant d’amis qui quittaient Marseille pour Lyon : « Sont-ils heureux ! écrit-il,… ils seront lundi à Paris. » Enfin, quelques jours plus tard, au moment de quitter Marseille pour Lyon : « Quand je serai sorti d’ici, écrit-il
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