allait encore dans les morceaux où tout l’orchestre joue, mais il était premier violon, comme tel, il accompagnait seul certains pas de ballet ; ces pas sont comme un duo entre l’instrumentiste et la danseuse ; dans un duo, il faut que les deux artistes se regardent, l’échange des regards est leur seul trait d’union. Urhan n’en avait cure ! Au début du morceau, il prenait son instrument, comme on prend son chapelet, et les yeux fermés, il exécutait l’air du ballet, consciencieusement, religieusement, avec expression, mais sans s’occuper de la danseuse. Manquait-elle de mesure ? tant pis pour elle,… Urhan continuait toujours. Elle serait tombée sur la scène, qu’Urhan, je crois, aurait été jusqu’au bout.
Toutes ses actions étaient marquées à ce même coin de singularité. Je l’ai vu plus d’une fois, entrer chez ma femme, qu’il aimait beaucoup, s’asseoir au coin du feu, y rester un quart d’heure sans prononcer une parole, puis se levant, lui dire : « Adieu, chère madame Legouvé, j’avais besoin de vous voir. » Une de ses vieilles amies, à qui il écrivait assez souvent, m’a montré une lettre de lui, où les lignes s’interrompaient tout à coup, pour faire place à une phrase musicale, après laquelle il ajoutait : « Les paroles ne pouvaient pas rendre ma pensée, alors je vous ai écrit en musique. » Enfin, un jour, il vint me raconter comment, la veille, se promenant dans une allée très solitaire du bois de Boulogne, il avait entendu une voix, qui lui avait dit : « Écris ceci » ; comment cette voix s’était mise à lui chanter un air, comment il avait noté cet air sous la dictée de cette voix, et alors, me tendant un papier de