voyant rôder autour de lui un petit homme qui a l’air de l’observer, et qui tout à coup s’approche et lui dit tout bas : « Courage » ! C’était M. Coste, le directeur de l’ancien journal le Temps. A peine les portes ouvertes, il court s’installer avec son compagnon de voyage dans un coupé. Un gendarme y monte après eux. C’est peut-être un agent ? Non. Il ne va que jusqu’à Melun. Mais de Paris à Melun, des soupçons peuvent lui venir. Comment les détourner ? L’abbé Blanc imagine alors de laisser tomber un papier dans la rainure d’une des fenêtres ; il se désespère de l’avoir perdu, et les voilà tous deux occupés à tâcher de repêcher ce papier. Le brave gendarme, touché de leur peine, se met de la partie. Il y emploie même son sabre, et la lame plonge, replonge dans l’interstice, tant et si bien qu’ils arrivent à Melun sans que rien les ait trahis. Repartis pour Besançon, ils se dirigent vers la Belgique, à travers les montagnes du Jura, recevant l’hospitalité dans quelques communautés religieuses, à titre d’ecclésiastiques en voyage. Une nuit ils logèrent chez une directrice de poste, qui le lendemain matin suppliait Schœlcher de lui donner sa bénédiction, à quoi le saint homme lui répond humblement qu’il n’est pas en état de grâce, et enfin, après tous les périls d’une traversée à pied au milieu des neiges de décembre, ils arrivent à Bruxelles épuisés de fatigue et glacés. Schœlcher n’avait pour tout vêtement que sa soutane ; ce qui fit dire à notre domestique à nous : « Oh ! ce pauvre M. Schœlcher, il parait que là-bas, à Bruxelles, il a bien froid avec sa sultane. »
Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/511
Cette page n’a pas encore été corrigée