main, mais il ne l’avança pas davantage. Schœlcher comprit cette froideur, et certes en souffrit, car il est très sensible à l’approbation des hommes qu’il estime. Pourquoi donc sa réponse ? Était-ce bravade, désir de produire de l’effet ? Non. Il obéissait à son absolu besoin de sincérité : il disait ce qui était, parce que cela était. Il faisait cet aveu, non seulement quoiqu’il pût lui nuire, mais parce qu’il pouvait lui nuire. Certaines âmes, hautes et hautaines, ont de ces raffinements de vaillantise, qui ne vont pas sans un assez grand fond d’orgueil, mais pour lesquels on éprouve quelque indulgence, en y sentant la crainte d’usurper l’estime par le silence. Nous reviendrons du reste sur son athéisme. Voici le second fait.
Vers 1849, les colons, irrités et inquiets de voir s’élever contre eux un grand mouvement d’opinion, répétaient sans cesse que les abolitionnistes n’étaient abolitionnistes que par ignorance ; qu’on n’accusait les colonies que parce qu’on ne les connaissait pas ; que la bonté des planteurs adoucissait tellement le sort des esclaves, que si le mal de l’esclavage subsistait encore, ses maux ne subsistaient plus. « Enfin, ajoutaient-ils, qu’ils viennent, qu’ils viennent, et qu’ils jugent ! ― Eh bien, dit Schœlcher, j’irai. » Partir à ce moment, c’était compromettre sa fortune engagée dans une opération difficile et périlleuse. Il part. Il arrive à la Martinique. Qu’y trouve-t-il en débarquant ? Un cartel. Il l’accepte. On le retire. Libre alors, il emploie quatorze mois à la visite minutieuse des principales habitations, et après cette longue enquête, il revint en proie aux sentiments