pas de m’en aller de ce monde, avant de dire ce que je sais de lui, et ce que je sens pour lui. Je lui dois beaucoup ; on ne vit pas impunément en longue intimité avec une âme comme celle-là, sans compter que cet homme si aimé des uns, et si haï des autres, béni par des populations entières comme un sauveur, maudit par un parti comme un monstre, constitue certainement une des personnalités les plus originales et les plus curieuses de notre temps.
Je ne puis penser, sans en rire, que Schœlcher a débuté dans la vie par être commis voyageur, et marchand de porcelaines. Son père, fondateur d’un beau magasin, au coin de la rue Grange-Batelière, eut l’idée bizarre, le connaissant, de l’envoyer à vingt ans au Mexique, avec une pacotille. Schœlcher placier ! Schœlcher attendant dans une antichambre ! Schœlcher déballant ses marchandises et enguirlandant ses clients !… Il se serait fait tuer cent fois plutôt que de se résigner à un tel rôle. Aussi, revint-il au bout de dix-huit mois, avec une immense cargaison de bibelots, de costumes, de curiosités de toutes sortes, ayant perdu ses cheveux par le Danghié, ayant appris l’espagnol avec les Mexicains, et surtout avec les Mexicaines, connaissant à fond le pays qu’il avait parcouru à cheval, mais quant à la pacotille, il eût été bien embarrassé d’en donner des nouvelles, l’ayant laissée faire ses affaires elle-même, c’est-à-dire l’ayant envoyée à toutes les adresses indiquées, sans plus s’en occuper que d’une lettre qu’on s’est chargé de remettre par complaisance. Comment, après cette expérience, eut-on l’idée, à la mort de son père,