La faction finie, le plan était fort avancé. Deux mois après, la pièce était faite ; et, quelques semaines plus tard, nous la lisions au comité du Théâtre-Français. Elle fut reçue avec acclamation. Mlle Mars en accepta le principal rôle, et le 6 juin 1838, je pus lire sur l’affiche : « Ce soir, première représentation, Louise de Lignerolles, drame en cinq actes et en prose. » Mon cœur battit bien fort en lisant ce titre sur les murailles, pas tant, cependant, qu’en lisant celui du Soleil couchant. Les pronostics étaient meilleurs. J’en avais recueilli deux très précieux, la veille, à la répétition générale.
Le premier, de la bouche de Casimir Delavigne ; il dit, en sortant : « C’est brutal, mais c’est saisissant. Cela réussira. » Mon second prophète fut un vieil acteur qui jouait les troisièmes comiques et s’appelait Faure. Ce Faure avait, dans sa jeunesse, fait un grand acte de courage. A Nantes, en 1794, au moment des noyades, ayant trouvé le buste de Carrier dans une salle de l’hôtel de ville, il le saisit et le brisa sur le pavé, en s’écriant : « Il faudrait en faire autant à ce misérable ! » On l’engagea à partir au plus vite, et il vint prendre sa très modeste place à la Comédie-Française. C’est là, qu’après la répétition générale de notre drame, il me dit : « Monsieur, vous pouvez dormir tranquille. Le succès est sûr. Tous les jupons viendront à cette pièce-là, et quand les jupons vont quelque part, les culottes suivent toujours. »
Ces deux prédictions se réalisèrent. Le 6 juin, à minuit, le nom de Goubaux et le mien, jetés au public par Firmin, furent salués d’unanimes applaudissements. J’avais pris ma revanche. J’étais auteur dramatique.