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il prit un parti héroïque : l’héroïsme est parfois de la sagesse. Sa pension comptait à peu près cent élèves ; il en remercia soixante, tous ceux qui suivaient les cours du collège, et resta avec les quelques adeptes de la nouvelle méthode. C’était, ce semble, se suicider. Comment vivre avec quarante élèves, quand on vit à peine avec cent ? La position était d’autant plus grave que son institution ne lui appartenait pas à lui seul. C’était le gage de ses créanciers. Renvoyer la moitié de ses élèves, c’était leur enlever la moitié de leurs sûretés. Il ne s’agissait donc plus d’obtenir seulement d’eux un sursis ou un prêt, il fallait les faire consentir au sacrifice de leur nantissement. Il fallait les conquérir à son idée, à ses espérances ; il fallait leur souffler sa foi au cœur. Eh bien, au bout d’une heure d’entretien, ils étaient non seulement vaincus, mais convaincus ; non seulement désarmés, mais convertis. Grâce à sa persuasive et primesautière éloquence, il changea ses créanciers en prêteurs ; non seulement ils ne lui demandèrent pas d’argent, mais ils lui en offrirent. Des gens qui auraient volontiers accusé la fourmi de prodigalité, se disputèrent le plaisir et l’honneur de lui donner le temps d’attendre le succès de son idée. Mais ce concours et ce secours ne suffisaient pas. Bien des dettes arriérées le tiraillaient et l’arrêtaient encore, lorsqu’un matin, comme toujours, sortit pour lui de terre, descendit du ciel, un Deus ex machina qui intervint au moment voulu pour l’aider à marcher de l’avant. Il est vrai que, comme toujours aussi, il était pour moitié dans cette intervention miraculeuse ; le miracle venait d’une de