Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/429

Cette page n’a pas encore été corrigée

d’intérêt parce qu’elle embrasserait une année ! mais elle en embrasserait trente, qu’elle n’en serait que plus intéressante.

— Ah, ah, trente ans ! s’écrie l’interlocuteur :


Enfant au premier acte et barbon au dernier,


comme dit Boileau.

— Précisément, enfant au premier acte et barbon au dernier. C’est là que résiderait l’intérêt ; c’est dans le changement qu’apporte la marche du temps, à toutes les choses humaines, à la fortune, au caractère, à la figure, à l’âme même ; c’est dans le développement graduel et quasi fatal des bonnes ou des mauvaises passions…

— Belle théorie, mais en pratique…

— En pratique ?… repartit le futur auteur, excité par la contradiction, je gage que je fais une pièce qui comprendra trente années, et qui vous fera frémir et pleurer.

— Toi, une pièce ! Mais tu n’en as jamais fait.

— Raison de plus pour commencer. »

Et quelques mois après il leur lisait la première ébauche du drame le plus populaire de l’époque : Trente ans ou la vie d’un joueur. Il avait fait cette pièce comme il eût tout fait… à l’occasion, parce qu’il le fallait. Dès qu’il avait besoin d’un talent, il l’avait.

La pièce écrite, il fallait la faire jouer. On lui conseilla de s’adjoindre comme collaborateur un des plus célèbres dramaturges de l’époque, Victor Ducange.