surpris d’abord de le trouver si petit ; il me semblait qu’un grand poète devait être grand ; plus surpris encore de le voir si jeune d’aspect, de physionomie. Pas de barbe ; un sourire charmant, mais un sourire d’enfant ; un bas de visage très mince, mais le haut de la figure superbe. Un front très large et très découvert, des yeux étincelants de lumière ! Il vit mon embarras et me dit : « J’ai donc lu vos vers ; j’y ai trouvé des qualités, mais, avant d’en causer avec vous, permettez-moi une question très prosaïque : Avez-vous de quoi vivre ? ― Mon tuteur m’a dit que j’aurais, sinon de la fortune, du moins de l’aisance. ― Alors, prenons votre manuscrit. » Comme mes regards exprimaient l’étonnement : « Ma question vous intrique un peu, me dit-il en riant. En voici l’explication. J’ai remarqué dans vos vers de la facilité, des dons heureux, peut-être même des trouvailles d’expression originale ; mais de là à un talent qui puisse fournir à toute une carrière, il y a loin encore. Or, à moins d’une vocation évidente, d’une supériorité déjà incontestable, je détournerai toujours un jeune homme de chercher dans la poésie un gagne-pain. On peut vivre pour faire des vers ; il ne faut pas faire des vers pour vivre. Mais, maintenant que je suis tranquille pour vous et en règle avec ma conscience, lisons vos trois morceaux. » La lecture dura une demi-heure. J’en appris plus dans cette demi-heure de conversation que dans tous les livres de rhétorique. C’était de la critique vivante. Il me fit toucher du doigt toutes mes fautes, me montra toutes mes défaillances, et me signala, en même temps, ce qui pouvait être pronostic
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