la baronne à un tournant de rue, elle lui lança un foudroyant : « Valet ! »
Mon compagnon, qui avait écouté mon récit sans m’interrompre, ne put s’empêcher de s’écrier : « Diable ! c’est raide, comme on dit aujourd’hui.
— Je n’absous pas plus que vous, bien entendu, répondis-je, un tour de cette espèce ; mais si je veux vous donner le portrait ressemblant que je vous ai promis, je dois tout dire. C’est raide, j’en conviens, mais c’est gai, c’est comique. Or là se trouve précisément un des côtés les plus particuliers du talent d’Eugène Sue, le côté par où il diffère de Balzac, et par où même, selon moi, il l’emporte sur lui, la gaieté. Balzac est un homme de génie, j’en conviens, mais c’est un génie triste. On l’a comparé à Molière, je le veux bien, mais à un Molière qui ne fait pas rire. La gaieté d’esprit et de caractère d’Eugène Sue s’est traduite en une foule de types, de personnages, de situations du plus franc comique. Pipelet, Mme Pipelet, Cabrion, Hercule Hardy, le prologue de miss Mary, les scènes de Sécherin et de Mlle de Maran. Vous ne trouvez rien de pareil dans l’auteur d’Eugènie Grandet. Balzac est mieux qu’amusant, mais il n’est pas toujours amusant. Sa profondeur est souvent lourde et son sérieux ennuyeux.
— Mais alors, pourquoi l’œuvre de Balzac est-elle vivante, et l’œuvre d’Eugène Sue est-elle morte ?
— Oh ! Pourquoi ? pourquoi ? il y a bien des raisons à cela.
— Lesquelles ? Est-ce parce que la puissance créatrice de Balzac est supérieure ?