toujours entrant chez moi, encore plus pâle, encore plus sombre que de coutume, et se jetant dans un fauteuil, et me disant :
« Savez-vous ce qui m’est arrivé ? Depuis quatre jours, je suis poursuivi par une idée de symphonie, une idée féconde, originale, et depuis quatre jours je la chasse, je l’exorcise comme l’esprit du mal.
— Pourquoi ? Pourquoi ne l’écrivez-vous pas ?
— Parce que, si je l’écris, je voudrai la faire exécuter, et que l’exécution, les répétitions, les copies d’orchestre, la location de la salle, le prix des chanteurs, me coûteront quatre mille francs, et que je n’ai pas quatre mille francs ! »
N’est-ce pas affreux ? Ce grand artiste, forcé d’étouffer le fruit de sa pensée au sein de sa pensée même, d’accomplir un infanticide moral ! Sans doute bien d’autres hommes de génie, égaux et supérieurs à lui, ont souffert autant et plus que lui ! Quoi de plus digne de pitié que Beethoven exilé de son royaume, le monde des sons, par la surdité, et condamné à ne pas entendre les accents sublimes dont il enchantait toutes les oreilles ! De nos jours, nous avons vu Ingres, Delacroix, Corot méconnus, niés, bafoués ; mais enfin, pour Beethoven, une gloire immense a été la compensation d’une immense douleur, et nos trois grands peintres sont entrés de leur vivant en possession de leur renommée ! Mais Berlioz n’a été compris que le lendemain de sa mort, et sa gloire tardive ne semble qu’une nouvelle ironie du sort et comme une continuation de son mauvais destin. Aussi ai-je besoin de croire que là où