années de distance l’un de l’autre, et qui achèveront mieux ce portrait que tous les discours.
Un jour, une ondée de printemps m’avait surpris dans la rue Vivienne ; je me réfugiai sous les colonnes placées devant le théâtre du Palais-Royal et j’y trouvai Berlioz. Il me prend le bras, son air était sombre, sa voix brève, et il marchait la tête basse. Tout à coup, se retournant vers moi :
« Mon ami, me dit-il, il y a en enfer des gens qui l’ont moins mérité que moi ! »
Je sursautai, tout habitué que je fusse avec lui à l’inattendu :
« Eh ! bon Dieu, qu’y a-t-il donc ?
— Vous savez que ma pauvre femme s’est retirée dans un petit logis à Montmartre.
— Où vous allez la voir souvent, je le sais aussi, et où votre sollicitude la suit comme votre respect.
— Beau mérite ! reprit-il vivement ; pour ne pas l’aimer et la vénérer, il faudrait être un monstre ! »
Puis, avec une incroyable amertume :
« Eh bien, je suis un monstre !
— Encore quelque maladie de conscience !
— Jugez-en. Je ne vis pas seul.
— Je le sais !
— Une autre a pris sa place chez moi… Que voulez-vous ? Je suis faible ! Or, il y a quelques jours, ma femme entend sonner à sa porte. Elle va ouvrir et se trouve en face d’une jeune dame, élégante, jolie, qui, le sourire sur les lèvres, lui dit :
— Madame Berlioz, s’il vous plaît ? madame. ― C’