de dire qu’il écrasait les vivants sous ses éloges pour les morts, qu’on se rappelle les acclamations dont il a salué le Désert de Félicien David et la Sapho de Gounod. Seulement ses antipathies étaient aussi vigoureuses que ses adorations. Il ne pouvait pas plus cacher les unes que les autres. A côté des expressions de flamme dont il saluait ce qu’il adorait, partaient, comme autant de flèches barbelées, les sarcasmes impitoyables dont il poursuivait ce qu’il n’aimait pas ! Deux faits curieux mettront en lumière ces deux côtés de sa nature.
Un soir, j’avais réuni chez moi quelques amis, Liszt, Goubaux, Schœlcher, Sue, et cinq ou six autres. Berlioz était des nôtres. « Liszt, lui dit-il, joue-nous donc une sonate de Beethoven. » Nous passons de mon cabinet dans le salon ; j’avais un salon alors, et un piano. La lumière était éteinte, et le feu de la cheminée couvert. Goubaux apporte la lampe de mon cabinet, pendant que Liszt se dirige vers le piano, et que chacun de nous cherche un siège pour s’y installer.
« Montez donc la mèche, dis-je à Goubaux, on n’y voit pas assez clair. » Au lieu de la remonter, il la baisse, nous voilà dans l’obscurité, je pourrais dire dans les ténèbres, et ce passage subit de la clarté à la nuit, se mêlant aux premiers accords du piano, nous saisit tous au cœur. On eût dit la scène des ténèbres de Mosè. Liszt, soit hasard, soit influence involontaire, commence le funèbre et déchirant andante de la sonate en ut dièse. Chacun reste cloué à la place où il se trouve, et ne remue plus. De temps en temps, le feu mal couvert perçait soudainement la couche de cendres,