l’écurie, et qui était aussi redoutable que charmant. Elle voulut le monter. Les sages remontrances de ses amis lui conseillaient en vain la prudence. Le danger ne fut pour elle qu’une tentation de plus. Le cheval la renversa, et sa chute la meurtrit cruellement. Elle défendit absolument qu’on avertît Bériot, et continua ses représentations. Son corps était couvert de si douloureuses contusions, que, trois jours après, à une représentation de Tancrède, au moment où elle monte sur un de ces chars de triomphe comme il n’en existe qu’au théâtre Italien, le figurant qui lui donnait la main pour descendre, l’ayant touchée au coude, elle ne put retenir un cri de douleur. Lablache, de qui je tiens tous les détails de ce récit, fit bientôt la remarque que ses crises de tristesse se rapprochaient beaucoup ; les larmes lui jaillissaient parfois des yeux sans motif. Un jour, elle alla avec ses camarades essayer un nouvel orgue dans une petite ville voisine de Londres ; la Grisi ne trouva rien de mieux que de jouer sur ce magnifique instrument le rondeau des Puritains. La Malibran prit vivement sa place et effaça sur les touches la trace de ce profane chant par un air sublime de Hændel, car elle était aussi versée dans les œuvres les plus sévères que dans les plus brillantes. Seulement, elle s’arrêta tout à coup, avant la fin du morceau, et resta devant le clavier, immobile et perdue dans ses pensées. Quelques jours plus tard, on annonce un grand festival pour une œuvre de charité. Elle avait promis son concours. Quoique plus souffrante encore que de coutume, elle arrive au concert et chante. Son succès
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